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était beaucoup trop petite, trop grande, trop hardie, trop froide, trop forte, trop mince, trop blonde, trop brune, trop n’importe quoi, mais pas belle ! Combien de vieilles dames, dans leurs conciliabules, avaient remercié le ciel de ce que leurs filles ne lui ressemblaient pas, et avaient exprimé le souhait qu’il ne lui arrivât rien de fâcheux, quoique bien persuadées qu’elle ne tournerait pas bien, et avaient fini par dire qu’elle avait un air effronté qui ne leur avait jamais plu, et qu’au demeurant ce n’était qu’une mystification parfaite et une bévue de la foule !

Et avec tout cela, Dolly Varden était si capricieuse et si difficile, qu’elle était encore Dolly Varden, avec tous ses sourires, et ses fossettes, et son joli minois, ne se souciant pas plus des cinquante ou soixante jeunes gens dont le cœur se brisait du désir de l’épouser, que si c’eussent été autant d’huîtres contrariées dans leurs amours qui fussent là, l’écaille béante, à exhaler leurs peines de cœur.

Dolly embrassa son père, comme nous l’avons déjà dit, et, après avoir embrassé aussi sa mère, elle les accompagna tous deux dans la petite salle à manger où la nappe était déjà mise pour le dîner, et où Mlle Miggs, un tantinet plus roide et plus raboteuse que jamais, l’accueillit avec une contraction hystérique de sa bouche qu’elle croyait un sourire.

Aux mains de cette jeune vierge Dolly confia son chapeau et sa robe de promenade (le tout d’un goût terriblement artificieux, plein de mauvaises intentions), et alors elle dit avec un rire qui balança la musique du serrurier :

« Avec quel plaisir je reviens toujours à la maison !

— Et quel plaisir c’est toujours pour nous, Doll, dit son père, en relevant en arrière les cheveux noirs qui voilaient ses yeux étincelants, de vous revoir à la maison ! Donnez-moi un baiser. »

Ah ! s’il y avait eu là quelque malheureux du sexe masculin pour voir le baiser que Dolly lui donna ! mais il n’y en avait pas, Dieu merci !

« Je n’aime pas que vous restiez à la Garenne, dit le serrurier. Je ne peux point supporter de ne plus vous avoir sous mes yeux. Et quelles nouvelles de là-bas, Doll ?

— Quelles nouvelles de là-bas ? Je pense que vous les savez déjà, répondit sa fille. Oh ! oui, vous les savez, j’en suis sûre.