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Mme Varden regarda le plafond, comme si elle se fût attendue que la conséquence immédiate de cette profanation serait de faire dégringoler par le plafond le lit à quatre montants du second étage, avec le beau salon du premier ; mais aucun jugement visible ne s’étant accompli, elle poussa un grand soupir, et pria son mari, avec l’accent de la résignation, de continuer, et de ne pas se gêner pour blasphémer ; qu’il savait combien elle aimait cela.

Le serrurier parut un moment disposé à lui faire ce plaisir ; mais il se ravisa à propos, et lui répondit doucement :

« Dame aussi ! pourquoi, au nom du ciel, dites-vous que c’est le fait d’un mauvais chrétien ? Lequel serait plus chrétien, Marthe, de rester tranquilles et de laisser saccager nos maisons par une armée ennemie, ou de nous lever comme des hommes pour la mettre en fuite ? Ne serais-je pas une belle espèce de chrétien, si j’allais me cacher dans un coin de ma cheminée pour regarder de là une bande de sauvages en moustaches emporter Dolly, ou vous peut-être ? »

Quand il dit : « Ou vous peut-être, » Mme Varden, malgré qu’elle en eût, ne put s’empêcher de sourire. Il y avait dans cette idée une manière de compliment.

« J’avoue que, si les choses en étaient là… dit-elle avec un sourire modeste.

— Si les choses en étaient là ! répéta le serrurier. Mais c’est ce que vous verriez arriver tout de suite. Miggs elle-même y passerait. Quelque négrillon, jouant du tambour de basque, avec un grand turban sur la tête, viendrait essayer de l’emporter, et, à moins que le joueur de lambourde basque ne fût à l’épreuve des coups de pied et des égratignures, c’est ma conviction qu’il en serait le mauvais marchand. Ha ! ha ! ha ! Je plaindrais le joueur de tambour de basque. Je ne lui conseille pas de s’y frotter, le pauvre garçon. » Et ici le serrurier se mit à rire de si bon cœur, que les larmes lui en vinrent aux yeux, au grand scandale de Mme Varden, qui pensait que le rapt d’une protestante aussi solide, d’une personne aussi estimable dans sa vie privée que Miggs, et par un nègre encore, un vil païen, était une circonstance trop choquante et trop effroyable pour qu’on y songeât sans frémir.

Le tableau que Gabriel venait d’esquisser menaçait d’a-