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passé, soit à l’intérieur soit à l’extérieur, l’espèce de gens qu’il avait vus, leur nombre, leurs sentiments, leur conversation, leurs espérances et leurs intentions apparentes. Son interrogatoire fut dirigé avec tant d’art, qu’il croyait donner tous ces renseignements de lui-même, et non se les laisser arracher ; et, grâce à l’habile manège de sir John, il en était tellement convaincu que, lorsqu’il le vit bâiller enfin et se plaindre d’être excessivement fatigué, Hugh lui fit des excuses à sa manière, de l’avoir tenu là si longtemps à écouter son bavardage.

« Là, maintenant, allez-vous-en, dit sir John en tenant d’une main la porte ouverte. Vous avez fait de jolie besogne ce soir. Je vous avais dit de ne pas faire cela. Vous pouvez vous mettre dans l’embarras. Mais vous voulez absolument une occasion de vous venger de votre orgueilleux ami Haredale, et pour y réussir vous risqueriez n’importe quoi, je suppose ?

— Oui, certes, riposta Hugh en s’arrêtant au moment où il sortait et regardant en arrière ; mais qu’est-ce que je risque ? Qu’est-ce que j’ai à perdre, maître ? des amis, un ménage ? je m’en moque pas mal ; je n’en ai pas, ainsi qu’est-ce que ça me fait ? Donnez-moi une bonne bagarre ; laissez-moi régler de vieux comptes dans une émeute hardie où il y aura des hommes pour me soutenir ; et après ça, faites de moi ce que vous voudrez. Au bout du fossé la culbute.

— Qu’avez-vous fait de ce papier ? dit sir John.

— Je l’ai sur moi, maître.

— Jetez-le à terre en vous en allant ; il vaut mieux ne pas garder de ces choses-là sur soi. »

Hugh fit un signe de tête affirmatif, et ôtant son bonnet de l’air le plus respectueux qu’il put prendre, il s’éloigna.

Sir John, ayant mis le verrou à la porte derrière son visiteur, revint à son cabinet de toilette, se rassit encore une fois devant le feu, qu’il contempla longtemps dans une méditation sérieuse.

« Cela va bien, dit-il enfin avec un sourire, et promet merveilles. Voyons un peu. Mes parents et moi, qui sommes les plus chauds protestants du monde, nous souhaitons tout le mal possible à la cause des catholiques romains ; et quant à Saville, qui a présenté le bill en leur faveur, j’ai contre-lui en