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maient d’habitude hermétiquement et vivement dans leurs guérites aux premiers symptômes de troubles, et n’en sortaient que quand ils avaient disparu. M. Dennis, qui avait une voix de basse-taille et des poumons d’une puissance considérable, se distinguait particulièrement dans ce genre, ce qui lui fît beaucoup d’honneur auprès de ses deux compagnons.

« Quel drôle de garçon vous êtes ! dit M. Tappertit. Vous êtes joliment discret et réservé. Pourquoi ne dites-vous jamais votre profession ?

— Répondez tout de suite au capitaine, cria Hugh en lui enfonçant son chapeau sur la tête. Pourquoi ne dites-vous jamais votre profession ?

— J’ai une profession aussi distinguée, frère, que n’importe quel gentleman en Angleterre… une occupation aussi douce que n’importe quel gentleman peut en désirer une.

— Avez-vous fait un apprentissage ? demanda M. Tappertit.

— Non. Génie naturel, dit M. Dennis. Pas d’apprentissage. Ça m’est venu tout seul. Maître Gashford connaît ma profession. Regardez cette main que voici ; eh bien ! elle a fait plus d’une besogne, avec une propreté et une dextérité inconnues auparavant. Lorsque je regarde cette main, dit M. Dennis en l’agitant en l’air, et que je me rappelle les élégantes besognes qu’elle a troussées, je me sens tout à fait mélanconique de penser que je deviens vieux et faible. Mais voilà la vie du monde ! »

Il poussa un profond soupir en s’abandonnant à ces réflexions ; puis, mettant d’un air distrait ses doigts sur la gorge de Hugh, et particulièrement sous l’oreille gauche, comme s’il étudiait le développement anatomique de cette partie de sa constitution, il hocha la tête d’une manière consternée et versa de vraies larmes.

« Vous êtes une espèce d’artiste, je suppose… hein ? dit M. Tappertit.

— Oui, répliqua Dennis, oui… Je peux m’appeler un artiste… un ouvrier de fantaisie ; « l’art embellit la nature : » telle est ma devise.

— Et comment appelez-vous ceci ? dit M. Tappertit en lui prenant le bâton qu’il avait à la main.