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beaucoup entre elles, se tenaient à distance et regardaient souvent alentour, comme si elles ne voulaient pas que leurs discours fussent entendus. Deux ou trois d’entre elles consignaient dans des registres les rapports des autres, à ce qu’il semblait ; quand elles n’étaient pas occupées de ce soin, l’une d’elles recourait aux journaux qui étaient éparpillés sur la table, et lisait aux autres, à voix basse, dans la Chronique de Saint-James, le Messager, la Chronique ou l’Avertisseur public, quelque passage relatif à la question qui les intéressait tous si profondément. Mais ce qui attirait le plus leur attention, c’était un pamphlet intitulé le Foudroyant, qui avait épousé leurs opinions et que l’on supposait, à cette époque, émaner directement de l’Association. Il était toujours demandé, et, soit qu’il fût lu tout haut à un petit groupe avide ou médité par un lecteur isolé, la lecture en était infailliblement suivie d’une conversation orageuse et de regards très animés.

Au milieu de son allégresse et de son admiration pour son capitaine, Hugh reconnut, à ces signes et d’autres encore, l’air de mystère qui l’avait déjà frappé avant d’entrer. Il était clair comme le jour qu’il y avait là-dessous quelque projet sérieux, et que les bruyantes régalades du cabaret cachaient des menées dangereuses. Peu ému de cette découverte, il n’en était pas moins satisfait de ses quartiers, et il y serait demeuré jusqu’au matin si son conducteur ne s’était levé bientôt après minuit pour rentrer chez lui. M. Tappertit, ayant suivi l’exemple de M. Dennis, ne laissa plus à Hugh aucun prétexte de rester. Ils quittèrent donc ensemble la taverne tous les trois, en braillant une chanson de Pas de papisme à faire retentir toute la campagne de ce vacarme affreux.

« Allez, capitaine ! cria Hugh lorsqu’ils eurent braillé jusqu’à en perdre la respiration. Encore un couplet ! »

M. Tappertit, sans la moindre répugnance, recommença ; et le trio continua sa route d’un pas chancelant, bras dessus, bras dessous, poussant des cris enragés et défiant le guet avec une grande valeur. Il est vrai qu’il n’y avait pas à cela une grande bravoure ni une hardiesse exagérée, vu que les watchmen d’alors, n’ayant pas d’autres titres à leur emploi qu’un âge très avancé et des infirmités constatées, s’enfer-