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— Je n’en doute pas, répliqua le secrétaire.

— Eh bien donc, voyez un peu, dit le bourreau, si ces papistes s’emparent du pouvoir et qu’ils se mettent à bouillir et rôtir les gens au lieu de les pendre, que devient ma besogne ? S’ils touchent à ma besogne, qui fait partie de tant de lois, que deviennent les lois en général, que devient la religion, que devient le pays ? Êtes-vous allé parfois à l’église, maître Gashford ?

— Parfois ? répéta le secrétaire avec quelque indignation ; sans doute.

— Bien, dit le sacripant, c’est comme moi : j’y suis allé aussi une ou deux fois, en comptant celle où j’ai été baptisé…. Si bien donc que, lorsqu’on vint me dire qu’on allait supplier le parlement, et que je pensai au grand nombre des nouvelles lois de pendaison qu’il faisait à chaque session, je me suis considéré moi-même comme supplié par la même occasion ; parce que vous comprenez, maître Gashford, continua-t-il en reprenant son bâton et l’agitant d’un air de menace, je n’ai pas envie qu’on vienne toucher à ma besogne protestante, ni rien changer à cet état de choses protestant, et je ferai tout ce que je pourrai pour l’empêcher. Je n’ai pas envie que les papistes viennent se mêler de mes affaires, à moins qu’ils n’aient recours à moi pour se faire exécuter d’après la loi. Je n’ai pas envie qu’on fasse ni bouillir, ni rôtir, ni frire ; je veux qu’on se borne à pendre. Milord peut bien dire que je suis un garçon zélé. Pour soutenir le grand principe protestant d’avoir des pendaisons à gogo, à la bonne heure ; je saurai (et il frappa de son bâton le parquet) brûler, combattre, tuer, faire tout ce que vous me commanderez, si hardi et si diabolique que ce soit, quand je devrais, en fin de compte, devenir de pendeur pendu. Voilà ! maître Gashford. »

Il avait accompagné, comme de raison, cette fréquente prostitution du noble mot de protestant aux plus vils desseins, en vomissant, dans une sorte de frénésie, une vingtaine au moins des plus terribles jurons ; après quoi il essuya sa figure échauffée sur sa cravate ; et se mit à crier : « Pas de papisme ! je suis un homme religieux, nom de Dieu !

Gashford s’était penché en arrière sur sa chaise, le regardant avec des yeux si creux et si ombragés par ses épais