Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taires ou qui portaient des fardeaux, faisaient claquer leurs mains ridées, et poussaient un cri aigu, perçant, essoufflé : « Hourra, milord ! » D’autres agitaient leurs mains ou leurs mouchoirs, ou bien elles secouaient leurs éventails et leurs parasols, ou bien elles ouvraient leurs fenêtres et criaient précipitamment à ceux de l’intérieur de venir voir. Toutes ces marques d’estime populaire, il les recevait avec une profonde gravité et un respect profond, saluant très bas et si souvent, que son chapeau n’était presque jamais sur sa tête, et regardant les maisons devant lesquelles il passait de l’air d’un homme qui faisait une entrée triomphale, mais qui n’en était pas plus fier pour cela.

Ils chevauchèrent de la sorte (John Grueby en ressentait un dégoût extrême, inexprimable) tout le long de Whitechapel, de Leadenhall-Street, de Cheapside et de Saint-Paul. En arrivant près de la cathédrale, il fit halte, parla à Gashford, et regardant en haut le dôme superbe, il secoua la tête, comme s’il disait : « L’Église est en danger ! » C’est pour le coup que les spectateurs s’éraillèrent le gosier ; puis il continua de nouveau sa route, au milieu des acclamations furibondes de la populace, qu’il saluait plus bas que jamais.

Il s’avança ainsi par le Strand, Swallow-Street, Oxford-Road, et de là jusqu’à sa maison dans Welbeck-Street, près Cavendish-Square, où il fut accompagné par une douzaine de traînards dont il prit congé sur les marches avec ce bref adieu : « Gentlemen, pas de papisme ! Bonjour. Dieu vous bénisse ! » Comme on s’était attendu à une allocution plus substantielle, on l’accueillit avec quelque déplaisir, en criant : « Un speech ! un speech ! » et il allait faire droit à leur demande, si John Grueby, en faisant sur eux une furieuse charge avec les chevaux qu’il menait à l’écurie, n’eût déterminé ces braillards à se disperser dans les champs voisins, où ils se mirent tout de suite à jouer à pile ou face, à la fossette, à pair ou non, à des combats de chiens et autres récréations protestantes.

Dans l’après-midi, lord Georges sortit de nouveau, vêtu d’un habit de velours noir, pantalon large et gilet écossais du clan de Gordon, le tout de la même coupe quakeresse ; et sous ce costume, qui lui donnait un air vingt fois plus étrange et plus singulier qu’auparavant, il alla à pied à