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et puis c’est si ennuyeux de se faire la barbe. Oui ! ça me convient assez. Quant à présent, toutefois, nous devons être chrétiens dans l’âme. Notre devise prophétique s’accommodera à toutes les croyances tour à tour ; c’est ce qui me console. »

En réfléchissant sur cette source de consolation, il se rendit au salon, et sonna pour le déjeuner.

Lord Georges fut promptement habillé (sa toilette était assez simple pour n’être pas longue à faire), et, comme il n’était pas moins sobre dans ses repas que dans son costume puritain, il eut bientôt expédié sa part. Mais le secrétaire, moins négligent des bonnes choses de ce monde, ou plus attentif à soutenir sa force et son entrain en faveur de la cause protestante, ne cessa pas de manger, de boire en conscience jusqu’à la dernière minute ; il lui fallut trois ou quatre avertissements de John Grueby avant qu’il pût se résoudre à s’arracher aux abondantes tentations de la table de M. Willet.

Enfin, il descendit l’escalier en essuyant sa bouche graisseuse, et, après avoir payé la note de John Willet, il grimpa sur sa selle. Lord Georges, qui s’était promené de long en large devant la maison en se parlant à lui-même avec des gestes animés, monta à cheval ; et, répondant à la révérence cérémonieuse du vieux John Willet, aussi bien qu’aux salutations d’adieu d’une douzaine de flâneurs que la nouvelle d’un vrai lord en chair et en os, prêt à quitter le Maypole, avait rassemblés autour du porche, il s’éloigna avec son monde, le robuste John Grueby formant l’arrière-garde.

Si John Willet avait trouvé, la veille au soir, que lord Georges Gordon avait l’air d’un grand seigneur assez fantasque, ce fut bien autre chose ce matin-là. Perché tout droit comme une pique sur une rossinante, avec ses longs cheveux plats pendillant autour de sa figure et voltigeant au vent ; tous ses membres roides et pointus, ses coudes collés de chaque côté d’une façon disgracieuse, et tout son corps cahoté et secoué à chaque mouvement des pieds de son cheval, c’était bien le personnage le plus gauche et le plus grotesque qu’on pût voir. Au lieu de cravache, il avait à la main une grande canne à pomme d’or, aussi haute que celles que portent aujourd’hui les laquais ; et ses diverses évolutions dans