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Comme il allait et venait fort affairé, tout entier à ces arrangements, il eut l’occasion d’observer dans la salle les deux voyageurs dont, jusque-là, il ne connaissait que la voix. Le lord, le grand personnage, qui faisait un pareil honneur au Maypole, était à peu près de taille moyenne, grêle de corps et d’un teint blême ; il avait le nez aquilin, et de longs cheveux d’un rouge brun, rabattus à plat sur ses oreilles et légèrement poudrés, sans le moindre vestige de frisure. Il était vêtu, sous son pardessus, d’un habillement tout noir, sans ornements, et de la coupe la plus simple et la plus sobre. La gravité de son costume, jointe à la maigreur de ses joues et à la roideur de son maintien, lui donnait bien dix ans de plus, mais c’était un homme qui n’avait point passé la trentaine. Tandis qu’il rêvait debout à la rouge lueur du feu, on était frappé de voir ses grands yeux brillants, qui trahissaient une continuelle mobilité de pensées et de desseins, singulièrement en désaccord avec le calme étudié et le sérieux de sa mine, ainsi qu’avec son bizarre et triste costume. Sa physionomie n’avait rien d’âpre ni de cruel dans son expression, non plus que sa figure, qui était mince et douce et d’un caractère mélancolique ; mais l’une et l’autre annonçaient un indéfinissable malaise, qu’on ne pouvait voir sans en prendre sa part et sans éprouver une sorte de pitié pour ce personnage, quoiqu’on eût été bien en peine de dire pourquoi.

Gashford, le secrétaire, était plus grand, de formes anguleuses, haut des épaules, décharné et disgracieux. Son habillement, à l’imitation de son supérieur, était modeste et grave à l’excès ; il y avait dans ses manières quelque chose d’officiel et de contraint. Il avait des sourcils proéminents, de grandes mains, de grands pieds, de grandes oreilles, et une paire d’yeux qui semblaient avoir battu en retraite au fond de sa tête, et s’y être creusé une caverne pour se cacher. Ses manières étaient douces et humbles, mais tortueuses et évasives. Il avait l’air d’un homme toujours à l’affût sur le passage de quelque proie qui ne voulait pas venir ; mais il paraissait patient, très patient, comme un épagneul en arrêt, qui remue la queue sans bouger. Même en ce moment, tandis qu’il chauffait et frottait ses mains devant le feu, il ne semblait pas avoir d’autre prétention que de jouir de cette