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queur, vous me feriez… ha ! ha ! ha ! … vous me feriez sauter la cervelle, je suppose ? »

John Grueby ne tint pas plus compte de cette remarque que s’il eût été sourd et Hugh muet ; il continua de chevaucher à son aise, les yeux fixés sur l’horizon.

« Avez-vous jamais essayé de vous colleter avec quelqu’un, monsieur, quand vous étiez jeune ? dit Hugh. Savez-vous jouer du bâton ? »

John Grueby le regarda de travers avec le même air d’insouciance, sans daigner répondre un mot.

« Comme ceci ? dit Hugh en exécutant avec son gourdin un de ces habiles moulinets qui faisaient les délices des paysans de cette époque. Houp !

— Ou comme ça, répondit John Grueby en rabattant avec son fouet le gourdin de son conducteur, et le frappant sur la tête avec le manche. Oui, j’en ai joué un peu jadis. Vous portez vos cheveux trop longs ; s’il avaient été un peu plus courts, je vous aurais fêlé le crâne. »

C’était, dans le fait, un petit coup vif et retentissant ; évidemment il étonna Hugh, qui, dans le premier moment, parut disposé à désarçonner sa nouvelle connaissance. Mais la figure de John Grueby ne dénotant ni malice, ni triomphe, ni rage, rien enfin qui pût faire croire à une offense préméditée ; ses yeux restant toujours fixés dans l’ancienne direction, et son air étant aussi insoucieux et aussi calme que s’il eût simplement chassé une mouche qui le gênait ; Hugh fut si démonté, si disposé à le regarder comme un luron d’une vigueur presque surnaturelle, qu’il se contenta de rire et de s’écrier : « Bien joué ! » puis, s’écartant un peu, il reprit son office de guide en silence.

Quelques minutes après, la compagnie fit halte à la porte du Maypole. Lord Georges et son secrétaire, ayant promptement mis pied à terre, donnèrent leurs chevaux au domestique, qui, sous la conduite de Hugh, les mena à l’écurie. Très aises d’échapper à l’inclémence de la nuit, les gentlemen suivirent M. Willet dans la salle commune, et, debout devant l’âtre où il y avait un bon feu, ils se réchauffèrent et séchèrent leurs vêtements, tandis que l’aubergiste s’occupait à donner les ordres et veillait aux préparatifs qu’exigeait le haut rang de son hôte.