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vait dire ou faire, et que sa pensée était ailleurs, il se dispensa de lui présenter des excuses ; il descendit en silence l’escalier, traversa l’allée du jardin et franchit la grille. Il s’arrêta du côté extérieur pour que Hugh éclairât M. Haredale, tandis que celui-ci fermait en dedans. John vit alors avec étonnement (comme il le raconta maintes fois par la suite) qu’il était très pâle, et que sa figure avait tellement changé depuis leur entrée, et que ses yeux étaient devenus si hagards qu’il semblait presque un autre homme.

Ils furent bientôt sur la grande route. John Willet marchait derrière son escorte, ainsi qu’en allant à la Garenne, et pensait très posément à ce qu’il avait vu tout à l’heure. Soudain Hugh le tira de côté, et presque au même instant trois cavaliers passèrent au galop ; il était temps, car le plus proche lui rasa l’épaule. Ces cavaliers, arrêtant leurs chevaux tout court, restèrent immobiles et attendirent que les deux piétons fussent arrivés près d’eux.


CHAPITRE XXXV.

Quand John Willet vit les cavaliers faire vivement volte-face et se mettre tous les trois de front sur la route étroite, attendant qu’il les eût rejoints avec son domestique, il lui vint à l’idée avec une précipitation insolite que ce devaient être des voleurs de grand chemin. Si Hugh eût été armé d’une espingole, au lieu de son solide gourdin, il lui aurait certainement ordonné de faire feu à tout hasard, et, pendant que celui-ci eût exécuté le commandement, notre homme eût avisé à sa sûreté personnelle en prenant aussitôt la fuite. Mais, dans les circonstances désavantageuses où lui et son garde du corps étaient placés, il jugea prudent d’adopter un autre genre de tactique. C’est pourquoi il chuchota à son acolyte de leur adresser la parole dans les termes les plus pacifiques et les plus courtois. Par manière d’agir conformément à l’esprit et à la lettre de cette instruction, Hugh s’avança et, faisant le moulinet avec son bâton devant les yeux mêmes du cavalier le plus proche de lui, il lui demanda dans quel dessein il venait avec ses compagnons galoper ainsi presque sur eux, battant le pavé du roi à cette heure indue.

L’homme à qui il s’était adressé commençait une réplique pleine de colère et dans le même style, lorsqu’il fut arrêté par le cavalier du centre, qui, s’interposant avec un air d’autorité, dit d’une voix un peu haute, mais qui n’avait rien de rude ni de désagréable :

« Pourriez-vous nous dire, je vous prie, si c’est bien là la route de Londres ?