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trait ou qu’il avait entendu de loin, ou qu’il devinait le sens de leur chuchotement mystérieux, fit ce qu’on lui commandait. Lorsqu’il se fut séparé d’eux en fermant la porte, M. Haredale se tourna vers John, et l’invita à dire ce qu’il voulait lui communiquer, mais à ne pas le dire trop haut, parce qu’il y avait de fines oreilles de l’autre côté.

Ainsi dûment averti, M. Willet raconta tout bas, tout bas, ce qu’il avait entendu dire, ce qu’il avait dit lui-même pendant la soirée ; appuyant particulièrement sur sa sagacité personnelle, sur son grand respect pour la famille, et sur sa sollicitude pour la paix de leur esprit et leur bonheur. L’histoire émut son auditeur beaucoup plus que John ne s’y était attendu. M. Haredale changea souvent d’attitude, se leva, marcha dans la chambre, revint s’asseoir, le pria de répéter, aussi exactement que possible, les propres mots dont s’était servi Salomon, et donna tant d’autres signes de trouble et de malaise, que M. Willet lui-même en fut surpris.

« Vous avez bien fait, dit-il en finissant cette longue conversation, de les engager à tenir secrète une pareille histoire. C’est une folle imagination, née dans le faible cerveau d’un homme nourri de craintes superstitieuses. Mais Mlle Haredale, malgré tout, serait troublée par ce conte, s’il arrivait à ses oreilles ; cela se rattache de trop près à un sujet qui nous navre tous, pour qu’elle en entendît parler avec indifférence. Vous avez été très prudent, et je vous ai une extrême obligation. Je vous en remercie beaucoup. »

Ce remerciement répondait aux plus ardentes espérances de John ; il eût toutefois mieux aimé voir M. Haredale le regarder en lui parlant, comme si réellement il le remerciait, que de le voir se promener de long en large, parler d’un ton brusque et saccadé, s’arrêtant souvent pour fixer les yeux sur le parquet, s’élançant de nouveau dans sa chambre comme un fou, presque sans avoir l’air de savoir ce qu’il disait ni ce qu’il faisait.

Telle fut cependant son attitude pendant cette communication, et John en était si embarrassé, qu’il resta longtemps assis tout à fait comme un spectateur passif, sans savoir quel parti prendre. À la fin il se leva. M. Haredale fixa sur