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nuit par un temps pareil, sans lui mettre un peu de cœur au ventre, n’est-ce pas, maître ? dit Hugh.

— Si fait, monsieur, répliqua John ; je lui mettrai du cœur au ventre (comme vous appelez ça), lorsqu’il m’aura ramené sain et sauf à la maison, et qu’il y aura moins de danger pour la solidité de ses jambes, à lui verser à boire. Ainsi, levez la lumière, s’il vous plaît, et allez un pas ou deux en avant, pour me montrer le chemin. »

Hugh obéit d’assez mauvaise grâce, et en jetant sur les bouteilles un regard d’impatient désir. Le vieux John, après avoir strictement enjoint à sa cuisinière de tenir la porte fermée à clef en son absence, et de n’ouvrir qu’à lui sous peine de renvoi, suivit Hugh, dehors dans le tumulte de l’air et l’obscurité du ciel.

Le chemin était si détrempé et si affreux, la nuit était si noire, que, si M. Willet eût été son propre pilote, il se fût jeté dans un profond abreuvoir à quelques centaines de pas de sa maison, et aurait certainement terminé sa carrière dans cette ignoble sphère d’activité. Mais Hugh, qui avait la vue perçante d’un faucon, et qui, en outre de ce don naturel, était capable de trouver son chemin, les yeux bandés, dans n’importe quelle direction, à une distance de douze milles, traîna le vieux John à la remorque, se montrant tout à fait sourd à ses remontrances, et se dirigea d’après ses idées personnelles, sans consulter le moins du monde, sans écouter seulement celles de son maître. Tous deux tinrent ainsi tête au vent le mieux possible ; Hugh écrasant sous ses pieds lourds l’herbe trempée, et marchant comme à l’ordinaire d’un air sauvage et fanfaron ; John Willet le suivant à une longueur de bras, choisissant où poser ses pieds, et regardant autour de lui s’il n’y avait pas des fossés ou des fondrières, ou s’il ne s’y trouvait pas des revenants égarés qui cherchaient leur chemin, témoignant enfin autant d’effroi et d’inquiétude que sa figure immuable pouvait en exprimer.

Ils finirent par être sur la grande avenue sablée devant la Garenne. Le bâtiment était profondément sombre ; il n’y avait personne qui remuât près de là qu’eux-mêmes. Toutefois, de la chambre solitaire d’une tourelle s’échappait un rayon de lumière. Ce fut vers ce point lumineux, le seul