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Un profond silence s’ensuivit.

« Si vous voulez m’en croire, dit John, nous ferons bien, tous tant que nous sommes, de tenir ça secret. De pareilles histoires ne seraient pas fort goûtées à la Garenne. Gardons ça pour nous, quant à présent, ou nous pourrions nous attirer quelque désagrément, et Salomon pourrait perdre sa place. Que la chose soit réellement comme il le dit, ou qu’elle ne le soit pas, peu importe. Qu’il ait raison ou qu’il ait tort, personne ne voudra le croire. Quant aux probabilités, je ne pense pas, pour ma part, dit M. Willet, en regardant les coins de la salle d’une manière qui dénotait que, comme quelques autres philosophes, il n’était pas parfaitement rassuré sur sa théorie, qu’un fantôme qui aurait été un homme sensé pendant sa vie, irait se promener par un pareil temps ; ce que je sais seulement, c’est que ce n’est pas moi qui m’en aviserais à sa place. »

Mais cette doctrine hérétique rencontra une forte opposition chez les trois autres camarades, qui citèrent un grand nombre de précédents pour montrer que le mauvais temps était précisément le temps propice aux apparitions de ce genre ; et M. Parkes (qui avait eu un fantôme dans sa famille, du côté maternel) argumenta sur le sujet avec tant d’esprit et une telle vigueur de raisonnement, que John aurait été obligé de se rétracter piteusement, si l’on n’avait pas apporté à point le souper, auquel ils s’appliquèrent avec un appétit effrayant. Salomon Daisy lui-même, grâce aux influences exhilarantes du feu, des lumières, de l’eau-de-vie et de la bonne compagnie, recouvra ses sens au point de manier son couteau et sa fourchette d’une façon qui lui fit beaucoup d’honneur, et de déployer pour boire comme pour manger une capacité si remarquable, qu’elle dissipa toutes les craintes qu’on aurait pu concevoir pour lui de la peur qu’il avait eue.

Le souper terminé, ils se rassemblèrent encore autour du feu, et, conformément à l’usage en de telles circonstances, ils mirent en avant toutes sortes de questions majeures qui ne faisaient qu’ajouter à l’horreur de cette histoire merveilleuse. Mais Salomon Daisy, nonobstant ces tentations de l’incrédulité, se montra si ferme dans sa foi, et répéta si souvent son récit avec de si légères variantes et avec de si solen-