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la porte fut levé, elle s’ouvrit ; on la referma violemment, et Salomon Daisy, avec sa lanterne allumée à la main et ses habits en désordre et ruisselants de pluie, se précipita dans la salle.

Il serait difficile d’imaginer une peinture plus exacte de la terreur que celle que présentait le petit bonhomme. Sa transpiration formait des perles sur sa figure, ses genoux claquaient l’un contre l’autre, chacun de ses membres tremblait, il avait perdu tout pouvoir d’articuler des mots ; il était là debout, haletant, fixant sur eux des regards si livides, si plombés, qu’ils furent infectés de son effroi, bien qu’ils en ignorassent la cause, et que, reflétant son visage terrifié, frappé d’horreur, ils reculèrent ébahis, sans se risquer à lui faire la moindre question. Enfin le vieux John Willet, dans un accès de délire momentané, se jeta sur sa cravate, et, le saisissant par cette partie de son costume, le secoua de çà et de là, si bien que ses dents lui en claquaient dans la tête.

« Dites-nous tout de suite ce que vous avez, monsieur, cria John, ou je vous tue. Dites-nous ce que vous avez, ou je vous plonge à l’instant la tête dans le chaudron. Comment osez-vous prendre cet air-là ? Y a-t-il quelqu’un qui vous poursuive ? Dites quelque chose, ou je vous extermine, oui, je vous extermine. »

M. Willet, dans sa frénésie, fut si près de tenir sa parole à la lettre, car Salomon Daisy commençait déjà à rouler ses yeux d’une manière alarmante, et certains sons rauques, semblables à ceux d’un homme qui suffoque, sortaient déjà de sa gorge, que les deux spectateurs, qui avaient un peu recouvré leurs sens, lui arrachèrent de force sa victime, et placèrent le petit sacristain de Chigwell sur une chaise. Celui-ci, jetant un regard d’épouvante autour de la salle, les supplia d’une voix faible de lui donner quelque chose à boire ; et surtout de fermer à clef la porte de la maison, et de mettre les barres aux volets, sans perdre un moment. La dernière requête n’était pas propre à rassurer ses auditeurs, ni à les remplir des sensations les plus réconfortantes. Ils firent néanmoins ce qu’il demandait, avec toute la célérité possible ; et, après lai avoir servi une rasade de grog presque bouillant, ils attendirent le récit de ce qu’il pouvait avoir à leur apprendre.