Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE XXXIII.

Un soir d’hiver, dans les premiers mois de l’an de Notre-Seigneur mil sept cent quatre-vingts, un vent perçant du nord s’éleva vers la brune, et, quand parut la nuit, le ciel était noir et affreux. Une violente tempête de grésil aigu, épais et froid comme la glace, balaya les rues humides et retentit sur les fenêtres tremblantes. Les enseignes, secouées sans pitié dans leurs cadres gémissants, tombèrent avec fracas sur le pavé ; de vieilles cheminées branlantes vacillèrent et chancelèrent, comme un homme ivre, sous l’ouragan ; et plus d’un clocher se balança cette nuit comme s’il y avait un tremblement de terre.

Ce n’était pas, pour ceux qui pouvaient se procurer chez eux du feu et de la chandelle, le moment de braver la furie de la tempête. Dans les meilleurs cafés, les habitués, réunis autour du feu, oubliaient la politique et se disaient les uns aux autres, avec une secrète joie, que le vent devenait plus terrible de minute en minute. Chaque humble taverne du bord de l’eau avait autour du foyer son groupe d’incultes personnages qui parlaient de vaisseaux sombrant en mer et d’équipages perdus, rapportaient mainte histoire de naufrage et d’hommes noyés, faisaient des vœux pour que quelques matelots de leur connaissance sortissent de là sains et saufs, et secouaient leur tête en signe de doute. Dans les maisons particulières, les enfants, en peloton près de la flamme de l’âtre, écoutaient les contes de fantômes et de lutins, de grandes figures vêtues de blanc qui venaient se tenir debout dans la ruelle du lit ; de gens qui, étant allés dormir dans de vieilles églises et ayant échappé à la ronde du sacristain, s’étaient trouvés là tout seuls au fort de la nuit. Les pauvres petits frissonnaient en pensant aux chambres ténébreuses de l’étage supérieur ; et cependant ils aimaient à entendre aussi le vent gémir, et ils espéraient bien qu’il allait continuer de souffler bravement. De temps en temps