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nonchalance et cassant une autre noisette, que je dois positivement vous interrompre ici. Il est tout à fait impossible que notre entretien continue sur ce ton-là. Si vous voulez bien sonner, le domestique va vous conduire jusqu’à la porte. Ne revenez plus sous ce toit, je vous en prie. Allez, monsieur, puisqu’il ne vous reste aucun sens moral, et allez au diable, c’est ce que je vous souhaite. Bonjour. »

Édouard quitta la chambre sans un mot de plus, sans un regard, et tourna le dos à la maison pour jamais.

Le visage du père rougit et s’échauffa légèrement ; mais il n’y eut pas la moindre altération dans ses manières lorsqu’il sonna derechef et dit à son domestique, quand il fut entré :

« Peak, si ce gentleman qui vient de sortir…

— Pardon, monsieur ; M. Édouard !

— Y en avait-il donc ici plus d’un, balourd, que vous me faites cette question ? Si ce gentleman envoyait prendre sa garde-robe, vous la lui donneriez, vous entendez ? S’il se présentait lui-même, n’importe quand, je n’y suis pas. Vous le lui direz comme ça, et vous fermerez la porte. »

Ainsi l’on chuchota bientôt à la ronde que M. Chester était très malheureux d’avoir un fils qui lui causait beaucoup de peine et de chagrin. Les bonnes gens qui l’entendirent et le répétèrent s’émerveillèrent d’autant plus de son égalité d’âme et de sa sérénité. « Quelle aimable nature il faut avoir, disaient-ils, pour montrer tant de calme après tant d’épreuves ! » Et, lorsqu’on prononçait le nom d’Édouard, la société secouait la tête et mettait son doigt sur sa lèvre ; elle soupirait, elle prenait son air grave ; et ceux qui avaient des fils de l’âge de ce jeune homme, dans un accès de pieuse colère et de vertueuse indignation, lui souhaitaient la mort, comme une expiation due à la piété filiale. Et ce n’est pas là ce qui empêcha le monde d’aller son petit train, pendant cinq ans dont cette histoire ne parle pas.