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traits, que vous êtes dans l’erreur. Je dis nettement, au contraire, que ce ne sont point des chimères ; nous savons qu’il y en a. Les cœurs des animaux, des bœufs, des moutons et ainsi de suite, sont mis sur le feu et dévorés, à ce qu’on m’a dit, par la basse classe, avec un suprême délice. Des hommes sont quelquefois percés d’un coup de poignard au cœur, frappés d’une balle au cœur ; mais ces locutions : « du fond du cœur, » ou « jusqu’au cœur, » « cœur chaud et cœur froid, » ou « cœur brisé, » ou « qui est tout cœur, » ou « qui n’a pas de cœur, » peuh ! voilà ce que je dis qui n’a pas de sens, Ned.

— Sans doute, monsieur, répliqua son fils, voyant qu’il faisait une pause pour le laisser parler, sans doute.

— Voilà la nièce de Hafedale, le dernier objet de vos feux, dit M. Chester, comme s’il prenait le premier exemple venu pour éclaircir sa pensée. Sans doute elle était tout cœur dans votre esprit jadis ; maintenant elle n’a plus du tout de cœur : pourtant c’est la même personne, Ned, exactement la même !

— C’est une personne qui a changé, monsieur, cria Édouard en rougissant, et changé, je le crains, par des influences odieuses.

— Vous avez reçu là un congé assez froid, n’est-ce pas ? Pauvre Ned ! je Vous disais l’autre soir que Cela vous arriverait. Puis-je vous demander le casse-noisettes ?

— Il faut qu’il y ait eu autour d’elle quelque machination ; elle a été trompée de la manière la plus perfide, cria Édouard en se levant de table. Je ne croirai jamais que la connaissance de ma véritable position, dont elle recevait de moi la confidence, ait pu produire ce changement. Je sais qu’elle est assiégée et torturée ; mais, quoique notre engagement soit fini et rompu sans ressource, quoique je l’accuse d’avoir manqué de fermeté, de fidélité envers elle-même comme envers moi, je ne crois pas et je ne croirai jamais qu’aucun motif sordide, ni son propre mouvement, sa volonté libre et spontanée, lui aient dicté cette conduite… jamais.

— Vous me faites rougir, répliqua gaiement son père, de la folie de votre naturel où j’espère… mais il est vrai qu’on ne se connaît jamais soi-même… où j’espère ardemment qu’il n’y a nul reflet du mien. Quant à ce qui regarde cette jeune demoiselle, elle a agi très naturellement et très conve-