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lui donnerait quelque petit encouragement de ce genre ; il avait même admis comme possible qu’elle fondît en larmes, qu’elle se précipitât dans ses bras, ou qu’elle tombât en pâmoison sans un mot, sans un signe au préalable : mais il avait été si loin de penser à rien qui approchât d’une pareille ligne de conduite, qu’il ne put que la regarder avec un silencieux étonnement.

Dolly cependant en revenait aux coins de son tablier, mesurait les côtés, effaçait les plis, et restait aussi silencieuse que lui-même. Enfin, après une longue pause, Joe lui dit au revoir !

« Au revoir ! dit Dolly, avec un sourire aussi agréable que s’il allait dans la rue voisine faire un tour avant de revenir souper ; au revoir !

— Voyons, dit Joe, en lui tendant ses deux mains, Dolly, chère Dolly, ne nous séparons pas comme cela. Je vous aime tendrement, de tout mon cœur et de toute mon âme, avec autant de sincérité et de sérieux que jamais homme aima une femme dans ce monde, je le crois. Je suis un pauvre garçon, comme vous savez, plus pauvre à présent que jamais, car j’ai fui de la maison paternelle, ne pouvant souffrir plus longtemps d’être traité de la sorte, et il faut que je fasse mon chemin sans aucune aide. Vous êtes belle, admirée, vous êtes aimée de chacun, vous êtes dans l’aisance et heureuse ; puissiez vous toujours l’être ! Le ciel me préserve de compromettre votre bonheur ! mais dites-moi un mot de consolation. Je n’ai pas le droit de le réclamer de vous, je le sais ; mais je vous le demande parce que je voue aime, et que le moindre mot de vous sera pour un moi un trésor que je garderai chèrement pendant toute ma vie. Dolly, ma çhère Dolly, n’avez-vous rien à me dire ?

— Non, rien. »

Dolly était coquette de sa nature, et de plus enfant gâté. Elle n’avait pas du tout envie qu’on vînt la prendre d’assaut de cette manière-là. Le carrossier aurait fondu en larmes, il se serait agenouillé, il se serait fait des reproches, il aurait crispé ses mains, frappé sa poitrine, serré sa cravate à s’étrangler, et fait toute sorte de poésie. Joe n’avait pas besoin d’aller à l’étranger. Il n’avait pas le droit d’en être capable ; et, puisqu’il était dans les chaînes adamantines, il ne pouvait plus disposer de lui.