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donner qu’une poignée de main), comme s’ils étaient là devant quelque autel mythologique pour se marier, si bien que c’était la position la plus embarrassante du monde.

« Je suis venu, dit Joe, vous dire adieu, vous dire adieu je ne sais pour combien d’années ; peut-être pour toujours. Je pars pour l’étranger. »

C’était précisément ce qu’il n’aurait pas dû dire. Il parlait là comme un gentleman maître de sa personne, libre d’aller, de venir, de courir le monde selon son bon plaisir, lorsque le galant carrossier avait juré pas plus tard que la veille au soir que Mlle Varden le retenait dans des chaînes adamantines, lorsqu’il avait positivement déclaré en termes exprès qu’elle le faisait mourir à petit feu, et que dans une quinzaine, plus ou moins, il s’attendait à faire une fin décente et à laisser son établissement à sa mère.

Dolly dégagea sa main et dit : « Vraiment ? » faisant observer, sans reprendre haleine qu’il faisait bien beau ce soir ; bref, elle ne trahit pas plus d’émotion que l’enclume même de la forge.

« Je n’ai pu partir, dit Joe, sans venir vous voir. Je n’en avais pas le courage. »

Dolly témoigna qu’elle était bien fâchée qu’il eût pris tant de peine. C’était une si longue course, et il devait avoir tant de choses à faire ! Et comment allait M. Willet, ce bon vieux gentleman ?

« Est-ce là tout ce que vous avez à me dire ? s’écria Joe.

— Tout ! Bonté divine ! Et sur quoi donc avait compté ce garçon-là ? » Elle fut obligée de prendre son tablier d’une main et de jeter les yeux sur l’ourlet d’un bout à l’autre, pour s’empêcher de lui rire au nez ; car ce n’était pas un effet de son trouble ou de sa stupéfaction. Oh ! pas du tout.

Joe avait peu d’expérience en affaires d’amour, et il n’avait aucune idée de la manière dont les jeunes demoiselles varient selon les temps. Il s’attendait à retrouver Dolly juste au point où il l’avait laissée lors de ce délicieux voyage nocturne, et il n’était pas plus préparé à un tel changement qu’à voir le soleil et la lune changer de place. Il avait été soutenu toute la journée par l’idée vague qu’elle lui dirait certainement : « Ne partez pas, » ou : « Ne nous quittez pas, » ou : « Pourquoi partez-vous ? » ou : « Pourquoi nous quittez-vous ? » ou qu’elle