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est honorée, révérée, respectée ; tout le monde a de la tendresse pour vous, de la reconnaissance pour vous ; votre nom est couché tout au long dans un livre au ministère de la guerre. Dieu me damne, gentleman, ne devons-nous pas tous mourir un jour ou l’autre, hein ? »

La voix toussa et ne dit plus rien.

Joe entra dans la salle. Une demi-douzaine de gars s’y étaient réunis et groupés ; ils écoutaient d’une oreille avide. L’un d’eux, un charretier en blouse, avait l’air d’hésiter encore, quoique disposé à s’enrôler. Le reste, qui n’était nullement disposé à en faire autant, le pressait vivement de prendre ce parti (voilà bien les hommes !), appuyait les arguments du sergent, et ricanait ensemble.

« Il n’y a pas besoin, mes amis, dit le sergent, qui était assis un peu à l’écart, à boire sa liqueur, d’en dire bien long pour des lurons résolus (ici il jeta un regard sur Joe), mais voilà le vrai moment. Je ne veux pas vous enjôler. Le roi n’en est pas réduit là, j’espère. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas du sang de navet, c’est un sang jeune et bouillant. Nous ne prenons point des hommes de pacotille. Il nous faut des gens d’élite. Je ne viens pas vous compter des gausses d’écolier ; mais, Dieu me damne, si je vous citais tous les fils de gentlemen qui servent dans notre corps, après quelques peccadilles peut-être ou quelques castilles avec les papas…. »

Ici son regard se porta encore sur Joe, et avec tant de bonhomie, que Joe lui fit signe de sortir. Il sortit tout de suite.

« Vous êtes un gentleman, sacrebleu, lui dit-il d’abord en lui donnant une claque sur le dos. Vous êtes un gentleman déguisé, moi aussi ; jurons-nous amitié. »

Joe ne fit pas exactement comme cela, mais il lui donna une poignée de main, et le remercia de sa bonne opinion.

« Vous désirez servir ? dit son nouvel ami. Vous servirez, vous êtes fait pour le service. Vous êtes né pour être un des nôtres. Que voulez-vous boire ?

— Rien pour le moment, répliqua Joe avec un faible sourire. Je ne suis pas encore tout à fait décidé.

— Un garçon plein d’ardeur comme vous, et qui n’est pas décidé ! cria le sergent. Tenez ! laissez-moi sonner ; vous serez décidé dans une demi-minute, j’en suis sûr.