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Peut-être ne les aimait-il guère, en effet, en aucune circonstance : mais peut-être, s’il eût pu savoir ce qui se passait en ce moment dans l’esprit de Joe, les eût-il moins aimés que jamais.

« Il recrute pour un…, pour un beau régiment ? dit Joe en donnant un coup d’œil à un petit miroir rond suspendu dans le comptoir.

— Oui, je crois, répliqua l’hôte ; c’est à peu près la même chose, n’importe le régiment pour lequel il recrute. Je me suis laissé dire qu’il n’y a pas grande différence entre un bel homme et un autre, quand ils attrapent une balle dans le ventre.

— Tout le monde n’attrape pas une balle, dit Joe.

— Non, répondit le Lion, pas tout le monde, et ceux-là qui sont tués, en supposant que leur affaire soit bientôt faite, sont les plus heureux dans mon opinion.

— Ah ! riposta Joe, vous n’avez donc nul souci de la gloire ?

— Souci de quoi ? dit le Lion.

— De la gloire.

— Non, répliqua le Lion avec une suprême indifférence. Je n’en ai nul souci. Vous avez raison en cela, monsieur Willet. Quand la gloire viendra ici me demander quelque chose à boire, et me changera une guinée pour le payer, je le lui donnerai pour rien. Voyez-vous, monsieur, je crois qu’une auberge qui veut faire ses affaires fera aussi bien de prendre un lion noir pour enseigne que non pas « les armes de la gloire. »

Ces remarques n’étaient pas du tout encourageantes. Joe sortit du comptoir, s’arrêta à la porte de la salle voisine, et écouta. Le sergent décrivait la vie militaire. On ne faisait que boire, disait-il, excepté qu’il y avait de grands intervalles pour manger et faire l’amour. Une bataille était la plus belle chose du monde, quand votre côté la gagnait, et les Anglais gagnaient toujours.

« Supposons que vous seriez tué, monsieur ? dit une voix timide dans un coin.

— Eh bien, monsieur, supposons que vous le seriez, dit le sergent, qu’arrive-t-il alors ? Votre pays vous aime, monsieur ; S. M. le roi Georges III vous aime ; votre mémoire