Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le soleil perçait déjà au-dessus des arbres de la forêt ; déjà s’étendaient à travers le brouillard onduleux de brillantes barres d’or, quand Joe jeta de la fenêtre sur le sol un petit paquet avec son fidèle bâton, et se prépara à descendre lui-même.

Ce n’était pas une tâche bien difficile, car il y avait là tout du long tant de saillies et tant de bouts de chevrons, que cela faisait presque un escalier rustique, d’où il ne restait plus à faire qu’un saut de quelques pieds pour être en bas.

Joe se trouva bientôt sur la terre ferme, son bâton à la main, son paquet sur l’épaule, et il leva les yeux pour regarder le vieux Maypole, peut-être pour la dernière fois.

Il ne l’apostropha pas d’un adieu solennel, comme aurait pu le faire un vétéran de rhétorique ; il ne le maudit pas non plus, car il n’avait pas dans son cœur le moindre fiel contre quoi que ce fût au monde. Il éprouvait au contraire plus d’affection et de tendresse à son égard qu’il n’en avait jamais éprouvé dans toute sa vie. Il lui dit donc de tout son cœur : « Dieu vous bénisse ! » comme souhait d’adieu, se détourna et s’éloigna.

Il se mit en route d’un bon pas. Il était plein de grandes pensées : il voulait être soldat, mourir dans quelque contrée étrangère où il y eût beaucoup de chaleur et beaucoup de sable, et laisser en mourant Dieu sait quelles richesses inouïes de ses parts de prise à Dolly, qui serait fort affectée lorsqu’elle viendrait à le savoir. Rempli de ces visions de jeune homme, quelquefois ardentes, quelquefois mélancoliques, mais qui avaient toujours la jeune fille pour point central, il poussa en avant avec vigueur, jusqu’à ce que le tapage de Londres retentit à ses oreilles, et que l’enseigne du Lion Noir se dressa à ses yeux.

Il n’était alors que huit heures, et le Lion Noir fut très étonné en le voyant entrer les pieds couverts de poussière à cette heure matinale, et sans la jument grise encore, pour lui tenir au moins compagnie. Mais Joe ayant demandé qu’on lui servît à déjeuner le plus tôt possible, et ayant donné, quand le déjeuner eut été placé devant lui, d’incontestables témoignages d’un appétit excellent, le Lion lui fit comme de coutume un accueil hospitalier, et le traita avec ces mar-