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autres liens que ceux de la vérité et du devoir. Mademoiselle Haredale, vous êtes trompée ; vous êtes trompée par votre indigne amant, par mon indigne fils. »

Elle le regarda fixement et ne dit pas encore un seul mot.

« J’ai toujours été opposé à l’amour dont il a fait profession envers vous ; vous serez assez juste, chère mademoiselle Haredale, pour vous le rappeler ; votre oncle et moi fûmes ennemis dans notre jeunesse, et, si j’avais cherché des représailles, j’aurais pu en trouver ici. Mais en devenant vieux nous devenons plus sages, meilleurs, j’aimerais à l’espérer, et dès le principe j’ai été opposé à mon fils dans cette tentative. J’en prévoyais la fin, et je voulais vous l’épargner, si cela m’était possible.

— Parlez ouvertement, monsieur, balbutia-t-elle ; vous me trompez ou vous vous trompez. Je ne vous crois pas ; je ne le peux pas ; je ne le dois pas.

— D’abord, dit M. Chester d’un ton insinuant, comme il y a peut-être dans votre esprit quelque secret sentiment de colère que je ne veux pas exploiter, prenez, je vous prie, cette lettre. Elle est tombée en mes mains par hasard, par suite d’une méprise ; elle était destinée à vous expliquer, m’a-t-on dit, pourquoi mon fils n’a pas répondu à un autre billet de vous. À Dieu ne plaise, mademoiselle Haredale, dit le bon gentleman avec une grande émotion, qu’il reste dans votre tendre cœur un injuste sujet de reproche contre Édouard ! Vous deviez connaître, comme vous allez le voir, qu’Édouard n’est pas en faute sur ce point. »

Un semblable procédé semblait si candide, si scrupuleux, si honorable, si vrai et si juste ; il y avait là quelque chose qui en rendait le loyal auteur si digne de confiance, qu’Emma sentit, pour la première fois, son cœur défaillir. Elle se détourna et fondit en larmes.

« Je voudrais, dit M. Chester en se penchant vers elle et lui parlant d’une voix douce et tout à fait vénérable, je voudrais, chère demoiselle, que ma tâche fût de dissiper et non d’accroître ces témoignages de votre douleur. Mon fils, mon fils égaré car je ne veux pas l’accuser d’être criminel de propos délibéré : les jeunes gens qui ont déjà eu deux ou trois amourettes auparavant agissent sans réflexion, sans savoir seulement le mal qu’ils font… rompra la foi qu’il vous