Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
BARNABÉ RUDGE

chandelles à eux ; je finis par me persuader qu’ils pouvaient bien aussi avoir une cloche qui tintait d’elle-même à minuit pour les trépassés. Je tintai ma cloche, comment ou combien de temps, je n’en sais rien, et je courus regagner la maison et mon lit sans regarder derrière mes talons.

« Je me levai le lendemain matin après une nuit sans sommeil, et je racontai mon aventure à mes voisins. Quelques-uns l’écoutèrent sérieusement, d’autres n’en firent que rire ; je crois qu’au fond personne n’y voulut croire. Mais ce matin-là, on trouva M. Reuben Haredale assassiné dans sa chambre à coucher : il tenait à la main un morceau de la corde attachée à une cloche d’alarme en dehors du toit ; cette corde pendait dans sa chambre, et elle avait été coupée en deux, sans aucun doute par l’assassin, lorsque sa victime l’avait saisie.

« La cloche que j’avais entendue, c’était celle-là.

« On trouva un secrétaire ouvert ; une cassette, que M. Haredale avait apportée la veille et qu’on supposait renfermer une grosse somme d’argent, avait disparu. L’intendant et le jardinier n’étaient plus là ni l’un ni l’autre, et tous deux furent longtemps soupçonnés ; mais on ne parvint jamais à les trouver, quoiqu’on les cherchât bien loin, bien loin. On aurait pu chercher encore plus loin l’intendant, le pauvre M. Rudge : car son corps, à peine reconnaissable sans ses vêtements, sans la montre et l’anneau qu’il portait, fut trouvé, des mois après, au fond d’une pièce d’eau, dans les terres du domaine, avec une blessure béante à la poitrine : il avait été frappé d’un coup de couteau. Il était à moitié vêtu, et tout le monde s’accorda à dire qu’il était en train de lire dans sa chambre, qu’on trouva pleine de traces de sang, quand on était tombé soudainement sur lui pour le tuer avant son maître.

« Chacun reconnut alors que c’était le jardinier qui devait être l’assassin, et, quoiqu’on n’en ait jamais entendu parler depuis cette époque jusqu’à présent, on en entendra parler ; prenez note de ce que je vous dis là. Le crime a été commis il y a vingt-deux ans, jour pour jour, le 19 mars 1753. Le 19 mars d’une année quelconque, peu importe quand… je sais toujours bien, et j’en suis sûr, parce que toujours, d’une manière quelconque, et par une coïncidence étrange, nous