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que font les bonnes dames, et, en général, les bonnes gens), qu’il ne fallût prendre au mot ces déclarations du mépris qu’on fait de soi-même, ce peu de valeur qu’on accorde à de grandes choses qu’on possède, cet air de dire : « Je ne suis pas orgueilleux, je suis ce que vous voyez, mais je ne me crois pas pour cela meilleur que les autres ; changeons de conversation, je vous prie. » Au reste, il vous avait inventé cela, et il vous l’avait débité avec tant de modestie, qu’il avait l’air de ne pas pouvoir s’en empêcher, ce qui en rendait l’effet plus merveilleux encore.

S’apercevant de l’impression qu’il avait faite (il n’y avait personne comme lui pour s’en rendre compte), M. Chester redoubla ses coups en avançant certaines maximes vertueuses, quelque peu vagues et générales, sans doute ; qui avaient bien parfois le cachet de ces vérités banales et usées qui montrent la corde, mais énoncées d’une voix si charmante, et avec un calme d’esprit et une sérénité si rares, qu’elles atteignaient le même but que si elles eussent été des plus saisissantes. Et il n’y a pas à s’en étonner : car, de même qu’un vase creux produit, en tombant, un son bien plus musical que ceux qui sont pleins et solides, ainsi l’on trouve souvent que des opinions vides et creuses sont celles qui retentissent le mieux dans le monde, et sont les plus goûtées.

M. Chester, tenant d’une main le volume mollement étendu, et laissant l’autre légèrement plantée sur sa poitrine, parla de la façon la plus délicieuse, et enchanta tout à fait ses divers auditeurs, en dépit de la lutte de leurs intérêts et de leurs pensées. Même Dolly, qui, entre le regard perçant de M. Chester et l’œillade fascinatrice de M. Tappertit, était toute décontenancée, ne put pas s’empêcher d’avouer au dedans de soi qu’elle n’avait jamais vu de gentleman doué d’une parole aussi emmiellée que celui-là. Même Mlle Miggs, qui était partagée entre son admiration pour M. Chester et la jalousie mortelle que lui inspirait sa jeune maîtresse, eut le loisir de s’apaiser. Même M. Tappertit, quoique occupé, comme nous l’avons dit, à contempler les délices de son cœur, ne put pas complétement soustraire ses pensées à la voix de l’autre enchanteur. Quant à Mme Varden, selon son opinion personnelle et intime, elle n’avait