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« L’industrie, dit M. Chester, est l’âme des affaires, et la clef de voûte de la prospérité. Monsieur Tappertit, j’espère bien que vous m’inviterez à dîner quand vous serez lord-maire de Londres.

— Monsieur, dit l’apprenti en déposant son marteau et se frottant le nez avec le dos d’une main couverte de suie, je méprise le lord-maire et tout ce qui se rattache à sa personne. Il nous faudra un autre état social, monsieur, avant que vous m’attrapiez à être lord-maire. Comment vous portez-vous, monsieur ?

— Mieux encore, monsieur Tappertit, depuis que je revois votre figure pleine d’une honnête franchise. Vous vous portez bien, j’espère ?

— Je me porte aussi bien, monsieur, dit Sim en se redressant pour rapprocher de l’oreille du gentleman un rauque chuchotement, que peut se porter un homme sous l’empire des vexations auxquelles je suis exposé. La vie m’est à charge. Si ce n’était l’espoir de la vengeance, je jouerais ma vie à pile ou face en un coup.

— Mme Varden est-elle céans ? dit M. Chester.

— Monsieur, répliqua Sim, en lui lançant une œillade d’une expression concentrée, elle y est. Souhaitez-vous de la voir ? »

M. Chester fit un signe affirmatif.

« Alors venez par ici, monsieur, dit Sim en s’essuyant le visage sur un tablier de cuir ; suivez-moi, monsieur. Voulez-vous me permettre de vous chuchoter à l’oreille un tout petit mot ?

— Certainement. »

M. Tappertit se haussa sur la pointe du pied, appliqua ses lèvres à l’oreille de M. Chester, retira sa tête sans dire quoi que ce soit, le regarda fixement, appliqua derechef ses lèvres à l’oreille de l’autre, retira encore sa tête, et finit par chuchoter :

« Son nom est Joseph Willet. Chut ! je ne vous en dis pas davantage. »

Ayant dit tout cela, il fit signe au visiteur de le suivre à la porte de la salle à manger, où il l’annonça du ton d’un huissier du roi :

« M. Chester, et non pas M. Ed’dard, remarquez bien, » dit Sim, en jetant un nouveau coup d’œil dans la salle,