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— Voyons, dit M. Haredale, si je vous comprends bien ; car je doute de mes propres sens. Voulez-vous dire que vous êtes volontairement résolue à vous priver des moyens de subsistance que vous avez si longtemps reçus de nous ; que vous êtes déterminée à résigner la rente que nous vous avons faite il y a vingt ans : à quitter votre maison, votre intérieur, tout ce qui vous appartient, pour recommencer une vie nouvelle ; et cela pour quelque secret motif ou quelque monstrueuse fantaisie, qui n’est pas susceptible d’explication, qui n’existe que d’aujourd’hui et n’a pas cessé de dormir dans l’ombra pendant tout ce temps ? Au nom de Dieu, à quelle illusion êtes-vous en proie ?

— Aussi vrai que je suis profondément reconnaissante, répondit-elle, des bontés de ceux qui, vivants ou morts, ont été ou sont les propriétaires de cette maison ; aussi vrai que je ne voudrais pas que son toit tombât et m’écrasât, ou que ses murs suassent du sang, lorsqu’ils entendent prononcer mon nom ; aussi vrai est-il que je ne subsisterai plus jamais aux dépens de leur libéralité, ni que je ne souffrirai qu’elle aide à ma subsistance. Vous ne savez pas, ajouta-t-elle avec promptitude, à quels usages vos bienfaits peuvent être appliqués, dans quelles mains ils peuvent passer. Je le sais, et j’y renonce.

— Sûrement, dit M. Haredale, vous êtes maîtresse de l’emploi de cette rente.

— Je le fus. Je ne saurais l’être plus longtemps. Il se peut qu’elle soit (elle l’est) consacrée à un usage qui raille les morts dans leurs tombeaux. Cela ne peut que me porter malheur, attirer encore quelque affreuse condamnation du ciel sur la tête de mon cher fils, dont l’innocence souffrira des fautes de sa mère.

— Quels mots viens-je d’entendre là ? cria M. Haredale en la regardant avec étonnement. Parmi quels associés êtes-vous donc tombée ? quelle est cette faute où l’on vous aurait entraînée par surprise ?

— Je suis coupable et pourtant innocente ; j’ai tort et j’ai raison ; pure d’intention, et contrainte de protéger et d’aider les méchants. Ne me questionnez pas davantage, monsieur ; mais croyez que je suis plutôt à plaindre qu’à condamner. Il faut que j’abandonne demain ma maison : car, tandis que je me trouve ici, elle est hantée. Ma future résidence, si je veux