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tance que vous réclamiez de ma part, vous savez qu’ils vous appartiennent de droit, qu’ils vous sont pleinement acquis.

— Que diriez-vous donc, monsieur, si j’étais venue, répliqua-t-elle, moi qui n’ai pas d’autre ami que vous sur la terre, pour rejeter votre aide à partir de ce moment, et pour vous dire que désormais je me lance sur l’océan du monde, seule et sans soutien, prête à y enfoncer ou y surnager, selon que le ciel en décidera ?

— Vous auriez, si vous étiez venue vers moi dans une semblable intention, dit avec calme M. Haredale, quelque motif à me donner sans doute d’une conduite si extraordinaire, et, malgré l’étonnement que pourrait me causer une résolution si soudaine et si étrange, naturellement je ne le traiterais pas légèrement.

— C’est là, monsieur, répondit-elle, ce qu’il y a de déplorable dans mon malheur. Je ne puis vous donner de motif. Ma résolution, sans explication aucune, est tout ce que je puis vous offrir. C’est mon devoir, mon devoir impérieux et forcé. Si je ne le remplissais pas, je serais une créature vile et criminelle. Maintenant que je vous ai dit cela, mes lèvres sont scellées ; je ne puis vous en dire davantage. »

Comme si elle se fût sentie soulagée d’en avoir tant dit, et que cela lui eût donné du nerf pour le restant de sa tâche, elle continua de parler d’une voix plus ferme et avec plus de courage.

« Le ciel m’est témoin, comme l’est mon propre cœur (et le vôtre, chère demoiselle, parlera pour moi, je le sais), que j’ai vécu, depuis le temps dont nous avons tous d’amers sujets de nous souvenir, dans un dévouement et une gratitude invariables pour cette famille. Le ciel m’est témoin que, n’importe en quel lieu j’aille, je conserverai les mêmes sentiments à jamais inaltérables. Il m’est témoin encore qu’eux seuls me poussent dans la voie que je vais suivre, et dont rien à présent ne me détournera, aussi vrai que j’espère en la miséricorde divine.

— Voilà d’étranges énigmes, dit M. Haredale.

— Dans ce monde, monsieur, répliqua-t-elle, peut-être ne seront-elles jamais expliquées. Dans un autre, la vérité se découvrira d’elle-même. Et puisse ce temps, ajouta-t-elle à voix basse, être bien éloigné !