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Mlle Haredale resta debout auprès de sa chaise, la regardant avec une compassion silencieuse. Elle demeura un peu de temps tout à fait tranquille ; puis elle se leva et se tourna vers M. Haredale, qui s’était assis dans sa bergère et la contemplait avec l’attention la plus soutenue.

La légende rattachée au manoir semblait, comme nous l’avons déjà dit, le prédestiner à devenir le théâtre d’un crime pareil à celui qui avait ensanglanté ses murs. La chambre dans laquelle ils se trouvaient, voisine de la chambre même où le meurtre s’était accompli, ténébreuse, mélancolique et morne, surchargée de livres mangés aux vers, close par des rideaux qui amortissaient et étouffaient chaque son, couverte d’ombres lugubres par des arbres dont les branches bruissantes venaient continuellement, ainsi que des spectres, frapper les carreaux, avait, plus que toutes les autres chambres de la maison, un air sinistre et funèbre. Le groupe même qui se trouvait là offrait des personnages appropriés aussi à ce lieu terrible. La veuve, avec sa figure tressaillante et ses yeux baissés ; M. Haredale, sévère et morne, comme toujours ; sa nièce auprès de lui, ressemblant, malgré de très-grandes différences, au portrait de son père, qui, de la muraille noircie, les considérait d’un air de reproche ; Barnabé, avec son regard vague et ses yeux mobiles ; tous répondaient bien au lieu de la scène et aux acteurs de la légende. Le corbeau lui-même, qui avait sauté sur la table, où, semblable à un vieux nécromancien, il paraissait étudier profondément un grand volume in-folio, ouvert sur un pupitre, était en harmonie avec le reste : on aurait dit une incarnation du mauvais esprit, attendant son heure de faire le mal.

« Je sais à peine, dit la veuve en rompant le silence, par où commencer. Vous allez croire qu’il y a du trouble dans ma raison.

— Tout le cours de votre vie paisible et irréprochable depuis que vous avez quitté la Garenne, répondit doucement M. Haredale, portera témoignage en votre faveur. Pourquoi craignez-vous d’exciter un pareil soupçon ? vous ne parlez pas à des étrangers. Ce n’est pas la première fois que vous avez à réclamer notre intérêt ou notre considération. Remettez-vous. Prenez courage. QUelque avis ou quelque assis-