Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tron l’avait amené là, l’habileté avec laquelle il avait dirigé toute la conversation, dérouta complétement le pauvre diable. Il ne douta pas que, s’il eût lâché la riposte qui était sur ses lèvres quand M. Chester se retourna si vivement, ce gentleman ne l’eût fait arrêter sur-le-champ et ne l’eût traîné devant un magistrat avec l’objet volé en sa possession ; auquel cas il eût été pendu, aussi sûr qu’il était né. L’ascendant que l’homme du monde avait voulu prendre sur ce sauvage instrument fut conquis dès cet instant, et la soumission de Hugh fut complète. Il en eut une peur affreuse ; il sentait que le hasard et l’artifice venaient de lui filer un bout de chanvre qui, au moindre mouvement d’une main aussi habile que celle de M. Chester, le suspendrait à la potence.

En proie à ces pensées qui traversèrent rapidement son esprit, et pourtant se demandant encore comment il pouvait se faire qu’au moment même où il venait en tapageur, pour s’imposer lui-même à cet homme, il se fût laissé au contraire subjuguer si vite et si complétement, Hugh se tenait humble et timide devant M. Chester, le regardant de temps en temps avec une espèce de malaise, tandis qu’il finissait de s’habiller. Quand le gentleman eut fini, il prit la lettre, rompit le cachet, et se jetant en arrière dans sa chaise, lut à loisir les pages d’Emma d’un bout à l’autre.

« Tout à fait bien troussé, sur ma vie ! Une vraie lettre de femme ; c’est plein de ce qu’on appelle tendresse, désintéressement, et tout ce qui s’ensuit ! »

En parlant ainsi, il tortilla le papier, et regardant avec indolence du côté de Hugh, comme s’il eût voulu dire : « Vous voyez ! » il le présenta à la flamme de la bougie. Quand le papier fut tout en flamme, il le jeta sur la grille, et l’y laissa se consumer.

« C’était adressé à mon fils, dit-il en se tournant vers Hugh ; vous avez eu complétement raison de me l’apporter. Je l’ai ouvert sous ma responsabilité personnelle, et vous voyez ce que j’en ai fait. Prenez ceci pour votre peine. »

Hugh, s’avançant de quelques pas, reçut la pièce d’argent que M. Chester lui tendait. Lorsque ce dernier la lui remit dans la main, il ajouta :

« S’il vous arrivait de trouver quelque autre chose de cette sorte, ou de recueillir quelque renseignement qu’il vous pa-