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plus tard, qu’il n’allait pas sauter sur elle à la faveur de ces compliments, Dolly se tint éloignée de lui autant qu’elle put, et pleura de nouveau, décidée à défendre sa poche (où était la lettre) jusqu’à la dernière extrémité.

« J’ai quelque intention, dit M. Haredale après un court silence, pendant lequel un sourire, alors qu’il regarda Dolly, avait percé le sombre nuage de mélancolie naturelle répandue sur sa figure, de procurer une compagne à ma nièce, car sa vie est très solitaire. Aimeriez-vous cette position ? Vous êtes la plus ancienne amie qu’elle ait, et vous avez à notre préférence les meilleurs titres.

— Je ne sais, monsieur, répondit Dolly, craignant un peu qu’il ne voulût se moquer d’elle ; je ne peux rien vous dire. J’ignore ce qu’on en penserait à la maison ; je ne peux pas vous donner mon opinion là-dessus, monsieur.

— Si vos parents n’y avaient pas d’objections, en auriez-vous pour votre compte ? dit M. Haredale. Allons, c’est une question toute simple, à laquelle il est aisé de répondre.

— Aucune absolument que je sache, monsieur, répliqua Dolly. Je serais fort heureuse sans doute d’être auprès de Mlle Emma, car c’est toujours un bonheur pour moi.

— Très bien, dit M. Haredale. Voilà tout ce que j’avais à vous dire ; vous brûlez de vous en aller ; libre à vous, je ne vous retiens plus. »

Dolly ne se laissa point retenir, et n’attendit point qu’il l’essayât : car ces mots n’eurent pas sitôt fui des lèvres de M. Haredale, que Dolly avait fui aussi de la chambre et de la maison, et se retrouvait dans les champs.

La première chose qu’elle fit, comme de raison, quand elle revint à elle-même et qu’elle considéra le grand émoi où elle venait d’être, ce fut de repleurer de nouveau ; et la seconde, lorsqu’elle réfléchit au succès de sa résistance, ce fut de rire de tout son cœur. Les larmes une bonne fois bannies cédèrent la place aux sourires, et Dolly finit par rire tant, mais tant, qu’il lui fallut s’appuyer contre un arbre et donner carrière à ses transports. Quand elle ne put pas rire davantage, et qu’elle en fut tout à fait fatiguée, elle rajusta sa coiffure, sécha ses yeux, regarda derrière elle avec une joie bien vive et bien triomphante les cheminées de la Garenne, qui allaient bientôt disparaître à sa vue, et poursuivit sa route.