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deux si bien tournées, et il faisait une si douce brise ce jour-là, et leurs légers vêtements, et les brunes boucles de leur chevelure paraissaient si libres et si joyeuses dans leur abandon, et Emma était si belle, et Dolly avait un teint si rosé, et Emma avait une taille si délicate, et Dolly était si rondelette, et en un mot il n’y a pas de fleurs dans aucun jardin comme ces fleurs-là, quoi qu’en disent les horticulteurs ; la maison et le jardin semblaient bien aussi le savoir : il n’y avait qu’à voir la mine radieuse qu’ils avaient.

Après la promenade vint le dîner, puis la lettre fut écrite, puis il y eut encore quelque petite causerie, dans le cours de laquelle Mlle Haredale saisit l’occasion d’accuser Dolly de certaines tendances coquettes et volages ; on aurait cru que Dolly prenait ces accusations pour des compliments, et qu’elle s’en amusait extrêmement. La trouvant tout à fait incorrigible, Emma consentit à son départ, mais non sans lui avoir confié auparavant cette importante réponse dont jamais on ne pouvait avoir assez de soin ; et elle la gratifia, en outre, d’un joli petit bracelet pour lui servir de souvenir. L’ayant agrafé au bras de sa sœur de lait, et lui ayant derechef, moitié plaisamment moitié sérieusement, conseillé de s’amender dans ses friponnes coquetteries, car Emma savait que Dolly aimait Joe au fond du cœur (ce que Dolly niait avec force en multipliant d’altières protestations, et qu’elle espérait bien rencontrer mieux que cela en vérité ! et ainsi de suite), Mlle Haredale lui dit adieu ; et après l’avoir rappelée, elle lui donna pour Édouard quelques messages supplémentaires, qu’une personne dix fois plus grave que Dolly aurait eu de la peine à retenir, et elle la congédia enfin.

Dolly lui dit adieu, et, sautant avec légèreté les marches de l’escalier, elle arriva à la porte de la terrible bibliothèque, devant laquelle elle allait repasser sur la pointe du pied, lorsque cette porte s’ouvrit, et tout à coup parut M. Haredale. Or, Dolly avait dès son enfance associé avec l’idée de ce gentleman celle de quelque chose d’affreux comme un fantôme : sa conscience étant d’ailleurs au même moment agitée de remords, la vue de l’oncle d’Emma la jeta dans un tel désordre d’esprit qu’elle ne put ni le saluer ni s’échapper ; elle éprouva un grand tressaillement, et puis elle resta là, les yeux baissés, immobile et tremblante.