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mettre son mouchoir sur ses yeux. Il est certain que Dolly s’émerveilla fort de la voir en proie à une si grande affliction : car une affaire d’amour devait être, dans son idée, un des meilleurs badinages, une des plus piquantes et des plus amusantes choses de la vie. Mais elle considéra comme positif en son esprit que tout ceci venait de l’extrême constance de Mlle Haredale, et que, si elle voulait s’éprendre de quelque autre jeune gentleman, de la façon la plus innocente du monde, juste assez pour maintenir son premier amant à l’étiage des grandes eaux de la passion, elle se trouverait soulagée d’une manière sensible.

« Bien sûr, c’est ce que je ferais si c’était moi, pensa Dolly. Rendre ses amants malheureux, c’est assez légitime et tout à fait légitime, mais se rendre malheureuse soi-même, pas de ça. »

Toutefois un tel langage aurait mal réussi ; elle demeura donc assise à regarder en silence. Force lui fut d’avoir une patience du plus gentil tempérament : car, lorsque la longue lettre eut été lue une fois d’un bout à l’autre, elle fut relue une seconde fois, et, lorsqu’elle eut été lue deux fois d’un bout à l’autre, elle fut relue une troisième fois. Durant cette ennuyeuse séance, Dolly trompa de son mieux la lenteur du temps ; elle frisa sa chevelure sur ses doigts, en s’aidant du miroir déjà consulté plus d’une fois, et se fit quelques boucles assassines.

Toute chose a son terme. Les jeunes amoureuses elles-mêmes ne peuvent pas lire éternellement les lettres qu’on leur écrit. Avec le temps le paquet fut replié, et il ne resta plus qu’à écrire la réponse.

Mais comme cela promettait d’être une œuvre qui exigerait aussi du temps, Emma le remit après le dîner, disant qu’il fallait absolument que Dolly dîna avec elle. Dolly s’était d’avance proposé de le faire ; il n’y eut donc pas besoin de la presser extrêmement, et ce point réglé, les deux amies sortirent pour se promener dans le jardin.

Elles flânèrent en tous sens le long des allées de la terrasse, parlant continuellement (Dolly, du moins, ne déparla pas une minute), et donnant à ce quartier de la lugubre maison une gaieté complète : non qu’on les entendît parler haut ni qu’on les vît rire beaucoup ; mais elles étaient toutes les