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en contenir. Il y avait un cœur dans cette chambre ; et celui qui a un cœur ne manque jamais de reconnaître la silencieuse présence d’un cœur comme le sien.

Dolly en avait incontestablement un, et pas trop coriace, je vous assure, quoiqu’il y eût autour un petit brouillard de velléités coquettes comparable à ces vapeurs qui environnent le soleil de la vie dans son matin et obscurcissent un peu son lustre. Aussi, quand Emma, s’étant levée pour aller à sa rencontre et l’ayant baisée affectueusement sur la joue, lui eut dit, avec son calme ordinaire, qu’elle avait été bien malheureuse, les larmes vinrent aux yeux de Dolly, et elle se sentit plus chagrine qu’elle ne pouvait le dire ; mais un moment après il lui arriva de relever les yeux, de les voir dans la glace, et ils avaient en vérité quelque chose de si excessivement agréable, que tout en soupirant elle sourit, et se sentit étonnamment consolée.

« J’ai entendu parler de cela, mademoiselle, dit Dolly, et c’est vraiment fort pénible ; mais, quand les choses sont au pis, elles ne peuvent que tourner au mieux.

— Mais êtes-vous sûre qu’elles sont au pis ? demanda Emma avec un triste sourire.

— Eh ! mais, je ne vois pas comment elles pourraient donner moins d’espérances. Je ne le vois réellement pas, dit Dolly. Et, pour qu’elles commencent à changer, je vous apporte quelque chose.

— Ce n’est point de la part d’Édouard ? »

Dolly fit un signe de tête et sourit ; elle tâta dans ses poches (il y avait des poches à cette époque-là) en affectant de craindre qu’elle ne fût jamais capable de trouver ce qu’elle cherchait, ce qui rehaussa grandement son importance, puis elle finit par produire la lettre. Lorsque Emma eut bien vite rompu le cachet et dévoré l’écriture, les yeux de Dolly, par un de ces étranges hasards dont on ne saurait rendre compte, errèrent de nouveau dans la direction de la glace. Elle ne put s’empêcher de se dire qu’en effet le carrossier devait souffrir beaucoup, et de plaindre tout à fait le pauvre jeune homme.

C’était une longue lettre, une très-longue lettre, écrite en lignes serrées sur les quatre pages, et encore entre-croisées, qui plus est ; mais ce n’était pas une lettre consolante, car Emma pendant sa lecture s’arrêta de temps en temps pour