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gaiement sur d’autres sujets, passa la porte du jardin, et regardant de temps en temps derrière elle (mais ce n’était pas, croyez-le bien, pour voir si Joe l’avait aperçue), d’un pied léger suivit dans les champs, pour remplir sa mission à la Garenne, un petit sentier de traverse qu’elle connaissait fort bien ; et, moi qui vous parle, j’ai été informé, et je le crois dur comme fer, que vous auriez vu peu d’objets aussi agréables que la mante et les rubans couleur cerise, lorsqu’ils voltigeaient le long des vertes prairies, à la brillante lumière du jour, comme de petits étourdis qu’ils étaient.



CHAPITRE XX.

L’orgueil qu’elle ressentait de la mission confiée à son adresse, et la grande importance qu’elle en tirait naturellement, l’eussent trahie aux yeux de toute la maison, s’il lui avait fallu essuyer les regards de ses habitants ; mais, comme Dolly avait joué mainte et mainte fois dans chaque passage et chaque sombre pièce, au temps de son enfance, et que, depuis, elle avait été l’humble amie de Mlle Haredale, dont elle était la sœur de lait, elle en connaissait aussi bien les êtres que cette jeune personne elle-même. Ne prenant donc pas d’autres précautions que de retenir son haleine et de marcher sur la pointe du pied devant la porte de la bibliothèque, elle alla droit à la chambre d’Emma, comme une visiteuse privilégiée.

C’était la chambre la plus gaie de l’édifice. La pièce était sans doute sombre comme le reste ; mais la jeunesse et la beauté rendent une prison joyeuse (sauf, hélas ! que l’isolement les y étiole) et prêtent quelques-uns de leurs propres charmes à la plus lugubre scène. Oiseaux, fleurs, livres, dessins, musique, et mille choses de ce genre, mille gracieux témoignages des affections et des préoccupations féminines, remplissaient de plus de vie et de sympathie humaine cette seule pièce que la maison tout entière ne semblait faite pour