Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

songer à lui davantage. Mais à peine se fut-il endormi (et l’aveugle s’en aperçut aussi promptement que l’eût fait un homme doué de la vue la plus perçante), que Stagg s’agenouilla auprès de lui, et lui passa légèrement mais soigneusement la main sur la figure et sur le corps.

Il eut un sommeil entrecoupé de soubresauts et de gémissements, et interrompu rarement d’un mot ou deux qu’il murmurait. Ses mains étaient serrées, ses sourcils froncés, sa bouche étroitement close. Rien de tout cela n’échappa à l’inventaire exact que l’aveugle dressa de sa personne ; et sentant sa curiosité fortement excitée, comme s’il avait déjà pénétré quelque chose du secret de l’inconnu, il resta assis à le surveiller, si l’on peut surveiller sans voir, et à écouter, jusqu’à ce qu’il fit grand jour.



CHAPITRE XIX.

La jolie petite tête de Dolly Varden était encore éperdue des divers souvenirs de la soirée, et ses yeux brillants étaient encore éblouis d’une foule d’images qui dansaient devant eux comme des atomes dans les rayons du soleil ; parmi ces images figurait spécialement l’effigie d’un de ses partenaires, jeune carrossier (avec brevet de maître), lequel lui avait donné à entendre, en lui offrant la main pour la conduire à sa chaise au moment du départ, que son idée fixe et sa résolution irrévocable étaient de négliger désormais ses affaires, et de mourir lentement d’amour pour elle. La tête de Dolly et ses yeux, disons-nous, et ses pensées, et tous ses sens sa trouvaient donc dans un état d’agitation désordonnée que la soirée justifiait bien, quoiqu’elle eût déjà trois jours de date, lorsque, au moment où, assise à table, au déjeuner, et fort distraite, elle lisait sa bonne aventure (c’est-à-dire de beaux mariages et de splendides fortunes) dans le résidu de sa tasse à thé, on entendit un pas dans la boutique. On aperçut en même temps, par la porte vitrée, M. Édouard Chester, debout au