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BARNABÉ RUDGE

ments autour de l’âtre, de s’avancer près de son questionneur et de le tirer par la manche ; je n’ai jamais vu la jeune dame dont vous parlez. Aïe !… Encore du vent et de la pluie ! Bon, en voilà une soirée !

— Diable de temps, en effet ! observa l’étranger.

— Vous y êtes habitué, n’est-ce pas ? dit Joe, saisissant tout ce qui semblait promettre une diversion au sujet de l’entretien.

— Mais oui, pas mal comme ça, repartit l’autre. Revenons donc à la jeune dame. Est-ce que M. Haredale a une fille ?

— Non, non, dit le jeune homme impatienté ; il est célibataire… Il est… Laissez-nous donc un peu tranquilles, mon brave homme, si c’est possible. Ne voyez-vous pas bien qu’on ne goûte pas trop là-bas votre conversation ? »

Sans tenir compte de cette remontrance chuchotée, et faisant semblant de ne pas l’entendre, le bourreau poursuivit, de manière à pousser Joe à bout :

« La belle raison ! Ce n’est pas la première fois que des célibataires ont eu des filles. Comme si elle ne pouvait pas être sa fille sans qu’il fût marié !

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, » répondit Joe, ajoutant d’un ton plus bas et en se rapprochant de lui : « Ah çà ! vous le faites donc exprès, hein ?

— Ma foi ! je n’ai pas du tout de mauvaise intention. Je ne vois pas de mal à ça. Je fais quelques questions, ainsi que tout étranger peut le faire naturellement, sur les habitants d’une maison remarquable, dans un pays nouveau pour moi, et vous voilà tout troublé, tout effaré, comme si je conspirais contre le roi Georges ! … Ne pouvez-vous pas, monsieur, me donner tout bonnement cette explication ? car enfin, je vous le répète, je suis étranger ; et tout ça, c’est de l’hébreu pour moi. »

La dernière observation était adressée à la personne qui causait évidemment l’embarras de Joe Willet. Elle s’était levée, mettait son manteau de voyage et se préparait à sortir. Ayant répondu d’une manière brève qu’il ne pouvait pas lui donner de renseignements, le jeune homme fit un signe à Joe, lui tendit une pièce de monnaie pour payer sa dépense, et s’élança dehors, accompagné du jeune Willet lui-même,