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« Rappelez-vous bien ceci, chuchota-t-il à l’oreille de la veuve. Par lui, dont l’existence a été ignorée de moi jusqu’à ce soir, je vous tiens en ma puissance. Prenez garde à vos procédés envers moi. Prenez-y garde. Je suis dénué de tout, je meurs de faim, j’erre incessamment sur la terre. Je puis tirer de vous une sûre et lente vengeance.

— Il y a dans vos paroles quelque sens horrible que je ne saurais approfondir.

— Le sens en est clair, et je vois que vous l’approfondissez autant qu’il faut. Voilà bien des années que vous pressentiez cela ; vous me l’avez presque dit. Je vous laisse réfléchir là-dessus. N’oubliez pas mon avertissement. »

Il lui montra du doigt, comme il la quittait, Barnabé endormi, et, se retirant à la dérobée, il gagna la rue. Elle tomba à genoux auprès du dormeur, et y resta semblable à une femme pétrifiée, jusqu’à ce que les larmes, gelées si longtemps par la frayeur, vinssent lui procurer un tendre soulagement.

« Ô toi ! cria-t-elle, qui m’as enseigné un si profond amour pour cet unique reste des promesses d’une vie heureuse, pour ce fils dont l’affliction même est pour moi la source de mon unique consolation, quand je vois en lui un enfant plein de confiance en moi, plein d’amour pour moi, sans devenir jamais ni vieux ni froid de cœur ; condamné, dans la force de l’âge viril, comme lorsqu’il était en son berceau, à avoir besoin de ma sollicitude maternelle et de mon dévouement, daigne le protéger durant sa marche obscure au travers de ce triste monde, ou c’en est fait de lui, et mon pauvre cœur est brisé ! »



CHAPITRE XVIII.

Glissant le long des rues silencieuses et choisissant, pour y diriger sa course, les plus sombres et les plus tristes, l’homme qui avait quitté la maison de la veuve traversa le