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Elle alla vers la table, et mit sa bourse dessus. Il étendit son bras sur la table, prit la bourse, et en compta le contenu dans la main. Comme il était à compter, elle écouta un moment, et s’élança vers lui.

« Prenez ce qu’il y a, prenez tout, prenez plus s’il y avait plus, mais allez-vous-en avant qu’il soit trop tard. Je viens d’entendre dehors un pas étrange que je connais bien. Ce pas va revenir tout de suite. Allez-vous-en.

— Que voulez-vous dire ?

— Ne vous arrêtez pas à le demander ; je ne vous répondrais pas. Quelque horreur que j’aie à vous toucher, je vous traînerais à la porte, si j’en avais la force, plutôt que de vous laisser perdre un instant. Misérable, fuyez de ce lieu.

— S’il y a des espions dehors, je suis plus en sûreté ici, répliqua l’homme debout et effaré. Je resterai ici, et je ne fuirai pas que le danger ne soit passé.

— Il est trop tard ! cria la veuve qui avait écouté ce pas, sans faire attention à ce qu’il disait ; entendez-vous ce pas sur le sol ? Est-ce qu’il ne vous fait pas trembler ? C’est mon fils, mon fils idiot ! »

Comme elle disait cela d’un air égaré, on frappa pesamment à la porte. Ils s’entre-regardèrent elle et lui.

« Faites-le entrer, dit l’homme d’une voix rauque ; je le crains moins que la nuit noire, sans asile. Le voilà qui frappe encore. Faites-le entrer.

— L’effroi de cette heure, répliqua la veuve, a été sur moi toute ma vie. Je n’ouvrirai pas. Le crime tombera sur lui, si vous vous trouvez face à face. Mon pauvre fila a la raison brûlée dans sa fleur ! Vous tous, bons anges qui savez la vérité, exaucez la prière d’une mère, et préservez mon fils de reconnaître cet homme !

— Il agite avec bruit les volets ! cria l’homme. Il vous appelle. Cette voix, ce cri ! c’est lui qui m’a saisi à bras-le-corps sur la route. Est-ce lui ? »

Elle s’était affaissée sur ses genoux, et elle demeura agenouillée, remuant ses lèvres sans proférer aucun son. Comme il la considérait, incertain de ce qu’il devait faire pour s’éclipser, les volets s’ouvrirent tout grands. Attraper un couteau sur la table, lui donner pour gaîne la large manche de son habit, se cacher dans le cabinet, tout cela fut fait avec