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— Je n’ai rien à vous promettre, répliqua-t-il en s’asseyant à la table, rien que ceci : j’exécuterai ma menace si vous me trahissez. »

Elle se leva enfin, et, allant à un cabinet attenant à la chambre, elle apporta quelques restes de viande froide et du pain, et mit le tout sur la table. Il demanda un grog à l’eau-de-vie ; il but et mangea avec la voracité d’un chien de chasse affamé. Tout le temps qu’il fut occupé à apaiser sa faim, elle se tint dans la partie la plus reculée de la chambre, assise et frissonnante, sa figure tournée vers lui. Jamais elle ne lui tourna le dos ; et quand elle avait à passer près de lui, pour aller au buffet, par exemple, et pour en revenir, elle ramassait les bords de ses vêtements autour d’elle, comme si elle eût frémi de l’idée qu’ils pussent le toucher même par hasard ; mais, au milieu de sa frayeur, de sa terreur profonde, elle gardait toujours sa figure dirigée vers celle de son épouvantail, et surveillait chacun de ses mouvements.

Son repas terminé, si l’on peut appeler repas ce qui n’était que la satisfaction dévorante des exigences de la faim, il approcha de nouveau sa chaise du feu, et, en se réchauffant devant la flamme qui jaillissait à présent toute brillante, il lui adressa encore la parole.

« Je suis un paria, pour lequel un toit sur sa tête est souvent une jouissance extraordinaire, et les aliments que rejetterait un mendiant une nourriture délicate. Vous vivez ici dans l’aisance. Êtes-vous seule ?

— Je ne suis pas seule, répondit-elle avec un effort.

— Qui est-ce donc qui demeure avec vous ?

— Quelqu’un… ça ne vous regarde pas. Vous ferez bien de partir pour qu’il ne vous trouve pas là. Qu’attendez-vous ?

— Que je sois réchauffé, répliqua-t-il en étendant ses mains devant le feu. Je me réchauffe. Vous êtes riche peut-être

— Oh ! oui, dit-elle d’une voix faible. Très riche. Il n’y a pas de doute, je suis très riche.

— Du moins vous n’êtes pas sans le sou. Vous avez quelque argent, vous faisiez des emplettes ce soir.

— Il me reste peu de chose. Quelques schellings.

— Donnez-moi votre bourse. Vous l’aviez dans votre main à la porte. Donnez-la-moi. »