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où elle s’arrêta, il voltigea comme son mauvais génie, la suivant chaque fois qu’elle reparaissait. Il était près de neuf heures, et les rues se dégarnissaient vite de passants, lorsqu’elle retourna sur ses pas, sans doute pour aller au logis. Le fantôme la suivit encore.

Elle reprit la même rue borgne où il l’avait aperçue la première fois ; cette rue, n’ayant pas de boutiques et étant étroite, se trouvait extrêmement sombre. La pauvre femme y doubla le pas, comme si elle eût craint d’être arrêtée et dépouillée de ce qu’elle avait sur elle, quoiqu’elle n’eût pas grand chose. Il rampa le long de l’autre côté. Eût-elle été douée de la vitesse du vent, il semblait que l’ombre terrible de cet homme l’eût suivie à la trace et réduite aux abois.

Enfin la veuve, car c’était elle atteignit sa propre porte, et, toute haletante, elle fit une pose pour prendre la clef dans son panier. La joue en feu, par suite de sa marche précipitée, et peut-être aussi de sa joie d’être arrivée saine et sauve au logis, elle se baissa pour tirer la clef, lorsque, en relevant la tête, elle le vit qui se tenait silencieusement auprès d’elle : l’apparition d’un rêve.

Il lui mit la main sur la bouche, mais c’était inutile, car sa langue, s’attachant à son palais, ne lui laissait nul moyen de crier.

« Voilà plusieurs soirs que je vous guette. La maison est-elle libre ? Répondez. Y a-t-il quelqu’un chez vous ? »

Elle ne put répondre que par un râle dans son gosier.

« Faites-moi un signe. »

Elle sembla indiquer qu’il n’y avait personne chez elle. Il prit la clef, ouvrit la porte, déposa la malheureuse à l’intérieur, et ferma la porte avec soin derrière eux.