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BARNABÉ RUDGE

que je mène, il faut que je la mène, Ned. Il faut que j’aie autour de moi ces petits raffinements. J’ai toujours été habitué à les avoir, je ne saurais exister sans cela. Il faut que j’en sois environné, comme vous voyez, et c’est pour cela que j’y tiens. Quant à notre situation financière, Ned, vous pouvez mettre votre esprit en repos sur cet article. Elle est désespérée. Votre représentation personnelle n’est nullement méprisable, et l’argent réuni de nos menus plaisirs dévore à lui seul notre revenu. Voilà la vérité.

— Pourquoi ne l’ai-je pas connue plus tôt ? Pourquoi m’avez-vous encouragé, monsieur, à des dépenses et à un genre de vie auxquels nous n’avons ni droit ni titre ?

— Mon bon garçon, répliqua son père d’une voix plus compatissante que jamais, si vous n’aviez pas de représentation, comment auriez-vous chance de réussir à faire le mariage que je vous destine ? Quant à notre genre de vie, tout homme a le droit de vivre le mieux qu’il peut et de se procurer autant de confort qu’il peut, ou c’est un gredin dénaturé. Nos dettes sont grandes, j’en conviens ; il vous sied donc, à vous qui êtes un jeune homme muni de principes d’honneur, de payer nos dettes le plus diligemment possible.

— Quel rôle de scélérat, marmotta Édouard, j’ai joué à mon insu ! moi conquérir le cœur d’Emma Haredale ! Je voudrais, par pitié pour elle, être mort avant !

— Je suis bien aise que vous voyiez, Ned, répliqua son père, une chose qui est de la plus parfaite évidence ; c’est-à-dire qu’il n’y a rien à faire de ce côté-là. Mais à part ceci, et la nécessité de vous pourvoir avec diligence d’un autre côté (comme vous savez que vous le pouvez dès demain, si vous voulez), je désirerais que vous pussiez envisager avec plaisir l’événement. Au seul point de vue religieux, est-ce que vous devriez jamais songer à une union avec une catholique… à moins qu’elle ne fût prodigieusement riche ? vous qui devez être un si bon protestant, puisque vous sortez d’une si bonne famille protestante ! Soyons moraux, Ned, ou nous ne sommes rien. Quand même on écarterait cette objection, ce qui est impossible, nous arrivons à une autre qui est tout à fait décisive. La simple idée d’épouser une jeune fille dont le père a été assassiné, haché comme chair à pâté ! bon Dieu, Ned, y a-t-il une idée plus désagréable ? Ré-