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BARNABÉ RUDGE

âge nous en fait un compagnon, c’est-à-dire lorsqu’il n’a que vingt-deux ou vingt-trois ans, n’est pas quelque chose d’agréable à avoir autour de soi. C’est une gêne pour son père, comme son père est une gêne pour lui ; ils portent atteinte l’un et l’autre à leur mutuel bien-être. C’est pourquoi, jusqu’à ces quatre dernières années ou environ… j’ai une pauvre mémoire en fait de dates, mais vous rectifierez cela dans votre esprit… vous avez poursuivi vos études à distance, et amassé une grande variété de talents. Nous avons passé ici, dans l’occasion, une semaine ou deux ensemble, et nous ne nous sommes incommodés que comme de si proches parents peuvent le faire. Enfin vous êtes revenu à la maison. Et je vous dirai avec candeur, mon cher enfant, que, si vous aviez été un de ces grands dadais comme j’en vois, je vous eusse exporté au bout du monde.

— Je regrette de tout mon cœur que vous ne l’ayez pas fait, monsieur, dit Édouard.

— Non. vous ne le regrettez pas, Ned, répliqua froidement son père. Vous êtes dans l’erreur, je vous l’assure. J’ai trouvé en vous un beau garçon, qui prévient en sa faveur, qui a de l’élégance, et je vous ai lancé dans un monde où je commande encore. En cela, mon cher garçon, j’estime que j’ai pourvu à votre avenir, et je compte que vous ferez quelque chose afin de pourvoir en revanche au mien.

— Je ne comprends pas votre pensée, monsieur, dit Édouard.

— Ma pensée, Ned, est facile à saisir… Encore une mouche dans le pot à crème ! Mais ayez la bonté de ne pas la poser là comme vous avez fait la première fois : car, lorsqu’elles marchent avec leurs pattes toutes pleines de lait, il n’y a rien de plus disgracieux et de plus désagréable… Ma pensée est que vous devez faire ce que j’ai fait, que vous devez faire un bon mariage et tirer le meilleur parti possible de vous-même.

— Un véritable coureur de fortune ! cria le fils, d’un air indigné.

— Mais, au nom du diable, Ned, que voulez-vous donc être ? répliqua le père. Tous les hommes ne sont-ils pas des coureurs de fortune ? La magistrature, l’Église, la cour, l’armée, voyez comme tout cela est encombré de coureurs de