Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
BARNABÉ RUDGE

l’héritier du Maypole. Joe donna de l’éperon à la jument grise, et fut tout de suite côte à côte de ce cavalier.

« Je pensais bien que c’était vous, monsieur, dit-il en mettant la main à son chapeau. Une belle soirée, monsieur. Je suis heureux de voir que vous n’êtes plus claquemuré. »

Le cavalier sourit ; et en le remerciant d’un signe de tête : « Comment avez-vous employé la journée, Joe ? gaiement, n’est-ce pas ? Est-elle toujours aussi gentille ? Il n’y a pas de quoi rougir, mon garçon.

— Ce n’est pas ce qui me donne ce peu de couleur, monsieur Édouard, dit Joe ; c’est plutôt de penser que j’aie été assez fou pour avoir jamais eu la moindre espérance à propos d’elle. Elle est aussi loin de moi que le firmament.

« Allons, Joe, vous n’en êtes pas si loin que ça, j’espère, dit Édouard avec bonne humeur… hein ?

— Ah ! soupira Joe. C’est bon à dire, monsieur. Il n’est pas difficile de plaisanter quand on n’a pas de chagrin. Mais voyez-vous, c’est sans remède. Iriez-vous par hasard à notre maison ?

— Oui ; comme je n’ai pas encore repris toutes mes forces, je coucherai chez vous ce soir, et je retournerai au logis demain matin à la fraîche.

— Si vous n’êtes pas trop pressé, dit Joe après un court silence, et si vous pouvez endurer le pas de cette pauvre rosse, je serai heureux de vous accompagner jusqu’à la Garenne, monsieur, et de tenir votre cheval quand vous descendrez. Cela vous épargnera la fatigue d’aller à pied au Maypole, et de revenir à pied. Je peux très bien vous donner le temps nécessaire, monsieur, car je suis en avance.

— Et moi de même, répliqua Édouard, quoique à mon insu je galopasse tout à l’heure un peu vite, m’accommodant, je suppose, au train de mes pensées qui couraient la poste. J’irai volontiers avec vous, Joe, au pas de votre jument, et nous nous ferons aussi bonne compagnie que possible. Allons, du courage ! pensez à la fille du serrurier avec un cœur résolu, et vous parviendrez à la conquérir. »

Joe secoua la tête ; mais il y avait, dans le ton de ces paroles pleines de chaleur et d’espoir, quelque chose de si encourageant, que son ardeur se ranima sous leur influence ;