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BARNABÉ RUDGE

Après avoir prononcé ces paroles avec une extrême douceur de manières, la bonne dame fit une révérence pleine de condescendance, et se retira avec sérénité.

C’était donc pour cela que Joe avait attendu le 25 mars pendant des semaines, bien des semaines, et qu’il avait cueilli les fleurs avec tant de soin, et qu’il avait retroussé son chapeau, et qu’il s’était fait si pimpant ! c’était donc là qu’aboutissait toute sa résolution hardie, prise pour la centième fois, de faire sa declaration à Dolly, et de lui dire combien il l’aimait ! La voir une minute, rien qu’une minute ; la trouver partant pour une soirée, et toute joyeuse d’y aller ; se voir traité comme un culotteur de pipes, un buveur de bière, un gobelotteur de spiritueux, en un mot, comme un ivrogne ! Il dit adieu à son ami le serrurier, et se hâta d’aller reprendre son cheval au Lion noir. Lorsqu’il tourna bride vers la maison, il pensait, comme maint autre Joe l’avait pensé avant et l’a pensé depuis, que c’en était fait de toutes ses espérances ; que c’était chose impossible et sans espoir ; qu’elle ne s’occupait pas plus de lui que s’il n’existait pas ; qu’il était malheureux pour la vie, et qu’il n’avait plus qu’une seule perspective acceptable : c’était de devenir soldat ou marin, et de trouver quelque ennemi assez obligeant pour lui faire sauter la cervelle aussitôt que possible.



CHAPITRE XIV.

Joe Willet ne chevaucha pas vite le long de la route : car, dans son désespoir, il se représentait la fille du serrurier dansant de longues contredanses et de terribles branles avec de hardis étrangers, image intolérable, lorsqu’il entendit derrière lui le piétinement d’un cheval. Ayant tourné la tête, il aperçut un gentleman bien monté, avançant à un bon petit galop. Le gentleman, en passant, contint un peu sa monture, et l’appela par son nom, comme