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BARNABÉ RUDGE

qui pendillaient, ni de la bride flottante, il sauta de haut en bas sur la petite pelouse devant la porte.

« Songez à avoir bien soin d’elle, monsieur, dit John, laissant cet être inférieur, pour s’adresser à la sensibilité de son fils et héritier, qui parut alors équipé complétement et tout prêt à monter en selle ; n’allez pas trop vite !

— J’en serais bien embarrassé, j’imagine, père, répondit Joe en jetant sur l’animal un regard de désespoir.

— Pas de vos impertinences, monsieur, s’il vous plaît, riposta le vieux John. Quelle monture vous faut-il donc, monsieur ? Un âne sauvage ou un zèbre en serait une trop pacifique pour vous, n’est-ce pas, monsieur ? Vous voudriez monter un lion rugissant, monsieur ; n’est-ce pas, monsieur ? Taisez-vous, monsieur. »

Lorsque M. Willet, dans ses querelles avec son fils, avait épuisé toutes les questions qui s’offraient à son esprit, et que Joe n’avait répondu rien du tout, généralement il concluait en lui ordonnant de se taire.

« Et quelle idée a donc ce petit garçon, ajouta M. Willet, après l’avoir considéré quelque temps d’un air ébahi et comme stupéfait, de retrousser comme ça son chapeau en casseur d’assiettes ? Est-ce que vous allez tuer le marchand de vin, monsieur ?

— Non, dit Joe avec un peu d’aigreur, je ne vais pas le tuer. Vous voilà rassuré maintenant, père ?

— Et avec cela, un air militaire ! dit M. Willet en l’examinant de la tête aux pieds ; ne dirait-on pas d’un mangeur de braise, d’un avaleur d’eau bouillante ? Et que signifient les crocus et les perce-neige que vous arborez à votre boutonnière, monsieur ?

— Ce n’est qu’un petit bouquet, dit Joe en rougissant. Il n’y a pas de mal à ça, j’espère ?

— Voilà un garçon bien entendu aux affaires, en vérité, dit M. Willet dédaigneusement, d’aller supposer que les marchands de vin se soucient de bouquets !

— Je ne suppose rien de pareil, répondit John. Qu’ils gardent leurs nez rouges pour flairer leurs bouteilles et leurs cruchons. Ces fleurs-ci vont chez M. Varden.

— Vous supposez donc qu’il s’inquiète beaucoup de vos crocus ? demanda John.