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BARNABÉ RUDGE

rapprochant raisonnablement, comme nous le faisons maintenant, nous pouvons empêcher cela et les séparer ?

— J’aime ma nièce, dit M. Haredale après un court silence. C’est un mot qui sonne étrangement peut-être à vos oreilles ; mais je l’aime.

— Étrangement, mon bon garçon ! cria M. Chester en remplissant de nouveau son verre avec nonchalance et en ôtant son cure-dent. Pas du tout. J’ai aussi du goût pour Ned[1], ou, comme vous dites, je l’aime ; c’est le terme usité entre si proches parents. J’aime Ned avec passion ; il est étonnamment bon garçon, et joli garçon, qui plus est, un peu fou et faible encore, voilà tout : mais le fait est, Haredale, car je serai franc comme je vous ai promis de l’être, qu’indépendamment de n’importe quelle répugnance nous pourrions avoir, vous et moi, à nous allier l’un à l’autre, et indépendamment de la différence de religion qui existe entre nous (et, diable ! c’est important), je ne saurais consentir à un mariage de ce genre. Ned et moi nous ne saurions y consentir, c’est impossible.

— Maîtrisez votre langue, au nom du ciel, si cette conversation doit durer, répliqua M. Haredale d’un ton farouche. Je vous ai dit que j’aime ma nièce. Pensez-vous que, cela étant, je voudrais jeter son cœur à n’importe quel homme qui eût de votre sang dans les veines ?

— Vous voyez, dit l’autre sans la moindre émotion, l’avantage qu’il y a d’être franc et ouvert. C’est juste ce que j’allais ajouter, sur mon honneur ! Je suis étonnamment attaché à Ned. je raffole de lui, en vérité ; aussi, quand il nous serait possible de nous effacer tout à fait, vous et moi, dans cette affaire, resterait toujours cette dernière objection, que je regarde comme insurmontable.

— Écoutez-moi bien, dit M. Haredale, marchant vers la table et mettant sa main dessus pesamment, si n’importe quel homme croit, ose croire que moi, dans mes paroles, dans mes actions, dans mes rêves les plus extravagants, j’aie jamais eu l’idée de favoriser la recherche d’Emma Haredale par quelqu’un qui vous touchât de près, n’importe par quel motif, je ne me soucie pas de le savoir, il ment ;

  1. Diminutif d’Edward.