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BARNABÉ RUDGE




CHAPITRE XI.

Grandes nouvelles ce soir-là pour les habitués réguliers du Maypole ! Quand chacun d’eux entrait séparément pour occuper la place qui lui était échue en partage dans le coin de la cheminée, John, avec une lenteur de débit très frappante et un chuchotement apoplectique, lui communiquait que M. Chester était seul dans l’appartement d’en haut, et qu’il y attendait M. Geoffroy Haredale, auquel il avait envoyé une lettre (sans doute d’une nature menaçante) par les mains de Barnabé, qui se trouvait là.

Pour un petit noyau de fumeurs et de cancaniers affamés, rarement à pareille fête, c’était la plus admirable des aubaines. Il y avait là un bon mystère, bien sombre, et qui se développait sous le toit même qui les abritait, servi tout chaud, pour ainsi dire, au coin du feu, et dont ils allaient se régaler sans le moindre trouble, la moindre peine. On ne saurait croire quel goût, quelle saveur cela donnait à la boisson, quel nouveau parfum au tabac. Chacun fumait sa pipe avec une figure pleine de graves et sérieuses délices, et en regardant son voisin avec une sorte de paisible congratulation. Oui, on sentait si bien que c’était une soirée spéciale, une véritable fête, que, sur la motion du petit Salomon Daisy, chacun (y compris John lui-même) déboursa ses six pence pour un pot de flip[1], breuvage agréable qui fut préparé le plus diligemment possible, et placé au milieu d’eux sur le carreau de brique, afin de le faire bouillir doucement et mijoter à petit feu, pour qu’en même temps l’odorante vapeur, s’élevant parmi eux et se combinant avec les guirlandes de fumée qui sortaient de leurs pipes, les enveloppât d’une délicieuse atmosphère de leur goût, et les dérobât au monde

  1. Mélange de bière, de liqueurs spiritueuses et de sucre, le tout chauffé à l’aide d’un fer brûlant (webstar).