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BARNABÉ RUDGE

fleurie, ses dents blanches, son costume régulier et propret, et son calme parfait, aurait pu tout aussi bien sortir de faire exprès sa toilette afin de venir, à la porte du vieux John Willet, poser pour un portrait équestre.

Bien entendu que John n’observa pas d’un seul coup d’œil tous ces détails caractéristiques ; il y mit du temps au contraire, il les recueillit un à un, brin à brin, après bien des suppositions et de sérieuses réflexions avant de se décider. Soyons francs : s’il eût été troublé tout d’abord par des questions et des ordres, il lui aurait fallu au moins une quinzaine pour prendre note de tous les renseignements que nous venons de donner ; mais il arriva que le monsieur, étonné de l’aspect de la vieille auberge, ou des pigeons dodus qui la saluaient dans leur vol rapide, ou du mat élevé au faîte duquel une girouette, en mauvais état depuis quinze ans, exécutait une perpétuelle promenade au son criard de sa propre musique, resta en selle quelque temps à regarder autour de lui en silence. Voilà pourquoi John, debout, la main sur la bride du cheval, et ses grands yeux sur le cavalier, rien ne passant sur la route qui pût distraire ses pensées, avait réellement recueilli dans son cerveau plusieurs de ces petits détails, au moment où il fut invité à parler.

« Curieux endroit que celui-ci ! dit le gentleman, et sa voix avait la richesse de son habillement. Êtes-vous l’aubergiste ?

— À votre service, monsieur, répondit John Willet.

— Vous pouvez, n’est-ce pas, faire bien soigner mon cheval à l’écurie, et me donner promptement à dîner (n’importe quoi, pourvu que ce soit proprement servi), et une chambre décente ? Il n’en manque pas apparemment dans cette grande maison, dit l’étranger, parcourant de nouveau du regard l’extérieur de l’auberge.

— Vous aurez, monsieur, répliqua John avec une promptitude surprenante, tout ce que vous voudrez.

— Il est fort heureux que je me contente aisément, repartit l’autre avec un sourire ; sans cela vous pourriez bien perdre la gageure, mon ami. »

Et en même temps, il descendit de cheval en un clin d’œil, à l’aide du billot placé devant la porte.

« Holà, quelqu’un ! Hugh ! rugit John. Je vous demande pardon, monsieur, de vous retenir là debout sous le porche ;